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Vaccination Covid - Les "Oui, mais"

Se vacciner ou pas. Quelques réflexions...

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Après dix-huit mois de pandémie, alors que les courbes de contamination au virus de la Covid-19 repartent doucement mais sûrement à la hausse, la Belgique est engagée comme le reste du monde dans une course contre la montre pour vacciner en masse sa population et atteindre ce fameux seuil de 85 à 90 % nécessaire pour atteindre l’immunité collective. Si la Belgique fait plutôt figure de bon élève en la matière, force est cependant de constater qu’atteindre un tel Graal constitue un sacré challenge dans une démocratie où rares sont les politiques publiques à atteindre un taux d’adhésion de 85 à 90 %. D’autant qu’il s’agit maintenant de convaincre les populations les plus hésitantes, pour ne pas dire les plus réticentes, à se faire vacciner, lesquelles sont souvent aussi celles qui nourrissent déjà une certaine méfiance à l’égard des décideurs politiques.

Si bien que, face au spectre d’une quatrième vague, certaines voix s’élèvent aujourd’hui pour accélérer le rythme d’injection des vaccins et rendre la vaccination obligatoire.

Un tel débat ne pouvait qu’interpeller les collaborateurs du CPCP, que ce soit à titre personnel, ou à un niveau plus collectif. La question de la vaccination touche en effet à celle de l’intérêt collectif, et par là-même à la notion de citoyenneté, laquelle "confère à chacun des membres de la collectivité, quel que soit son statut, le droit inaliénable de contribuer activement, fût-ce de manière critique, à la définition et à la poursuite du bien commun, dans tous les domaines".

Dans cette perspective, les collaborateurs du CPCP vous proposeront tout au long des prochaines semaines une série de contributions personnelles et contrastées qui constituent autant de points de vues sur les questions sous-jacentes à la vaccination.

Les "Oui, mais"

Par Maïa Kaïss, Responsable EP Famille Culture et Éducation au CPCP

Et pourtant ils existent…

La binarité, que dis-je ? Parfois le manichéisme, avec lequel on oppose les "pros vaccins" et les "anti vaccins", a pour conséquence de ne laisser que peu de place aux ambivalences dans le débat public. Or, la classe d’indécis est sans aucun doute celle avec qui il fait plus sens encore de discuter ! Avant toute chose, comme pour chaque groupe de personnes que l’on essaye de rassembler sous une même étiquette parce qu’elles paraissent partager le même système de pensées, prenons soin de ne pas tomber dans le piège de l’essentialisation.

"Les indécis". Qui sont-ils ? L’indécision n’est-elle pas justement le terme qui recouvre le plus large panel d’opinions ? Celles qui se complètent, celles qui se contredisent, celles qui s’alimentent pendant quelques minutes, qui se démontent dans les heures qui suivent ? Des "indécis" dont on ne peut, en temps de crise, ignorer la souffrance. La souffrance de vaciller entre la position de "non-savant" et la prétention à vouloir savoir.

Cet article a pour mission de mettre en lumière une discussion. Pas celle que l’indécis a avec lui-même lorsqu’il est face à des informations lui permettant de se rendre compte que la prochaine vague de contamination est proche. Pas celle qu’il a avec lui-même avant d’aller dormir, en se culpabilisant de ne pas agir au nom de la solidarité. Pas non plus celle que le médecin entretient avec le corps scientifique pour qui les maux rencontrés auprès des patients depuis des mois justifient l’utilisation des mots les plus complexes pour convaincre les indécis auxquels ils font face.

Ici, il s’agit d’enfin pouvoir réunir ce panel large de réalités au cœur même d’un dialogue entre l’indécision et la science. De pouvoir considérer la force de conviction des uns, la sensibilité des autres, la conscience ou encore l’inconscience, mais aussi la bienveillance de chacun tout en considérant que, dans sa zone d’(in)confort, chaque attitude se légitime pour elle-même.

Les prochains mots cherchent donc à traduire l’angoisse que génère la crise sanitaire que nous traversons, celle pour laquelle tous, d’une façon ou d’une autre, nous cherchons des solutions. Ils sont présentés sous la forme d’un dialogue imaginaire (et pourtant si réel), élaboré à partir d’entretiens menés notamment avec des "indécis" et avec des professionnels de la santé, afin de rendre compte de la manière dont ces ambivalences sont mises en débat au quotidien, mais aussi de construire ensemble la manière dont il serait possible de mieux "faire alliance" autour de ces doutes.

"Jusqu’ici, avec la baisse significative des contaminations, l’idée même de la vaccination me semblait pouvoir disparaître. Pourquoi prendre le risque de ce vaccin inédit et méconnu pour un virus que nous semblions contrôler, maîtriser de mieux en mieux ?"

"Il est évident que ma pleine confiance en la science et en un rapport au vivant liant le quantitatif au qualitatif, la justification par "bénéfice-risque" suffisait à t’autoriser, toi l’indécis, à garder le cap dans une indécision ne te poussant pas à la prise de décision. Sans le regain à venir, mais très proche du Delta, je t’aurais peut-être même dit qu’il était possible, en n’omettant aucun des gestes barrières, de se prémunir de la contamination. Le caractère inédit du vaccin est lié au caractère inédit de la pandémie. Tout évolue vite, l’adaptation des points de vue est de rigueur."

"Oui, et bien justement ne nous précipitons pas ! Comme le disait la tortue dans une fable connue de tous : "De quoi vous sert votre vitesse ?". Quels risques prenons-nous à nous engager dans cette course folle ? Celui de proposer des technologies que je ne considère que comme des bricoles ? Pourquoi tant de gageures, pour reprendre les mots de la même tortue, sur les vaccins ? "

"Ces vaccins n’ont fondamentalement rien d’inédit, le procédé utilisé ici, celui de l’ARN-Messager1 est loin d’être à son premier essai. Utilisé dans le traitement de certains cancers comme celui du mélanome2, il a plutôt fait ses preuves. Dernièrement, épidémie lointaine mais épidémie certaine, le travail autour du vaccin contre Ebola utilise le même procédé3, et lui aussi se voit rassurant. Tu sais, cher indécis, la précipitation est corrélée à la force que l’on donne au temps4. Aujourd’hui, tout nous rapproche, dans l’espace et dans le temps. Nous ne pouvons avancer plus lentement que circule le virus parmi les gens. Nous ne sommes peut-être pas partis à temps, il nous faut maintenant lier enjeux de santé public, sagesse, confiance et rapidité."

"Explique moi, comme le ferait Tahar Ben Jelloun5 à sa fille, en quoi consiste ce vaccin"

"Avant cela, explique moi, comme Nour6 l’aurait fait dans une de ses lettres à son père, l’angoisse qui se cache derrière la façon dont tu nommes l’indécision ? "

"J’ai peur. J’ai eu peur dès le mois de mars quand l’inimaginable s’est abattu sur nous. Quand j’ai dû, entre toutes mes autres peines, m’enfermer avec la tristesse, l’incertitude et l’ennui dans un même espace. J’ai peur parce qu’il y a quelques mois l’essoufflement nous a rejoint. J’ai peur parce que mes amis, la joie, la rencontre et le partage, ne font plus partie de mon quotidien. Je suis effrayée parce que je ne sais pas si je dois prendre le risque de les inviter à ma table alors qu’avec eux s’invite toujours un compagnon indésirable, dont on n’arrive d’ailleurs pas à savoir si c’est un ou une compagne. Depuis, s’est ajouté à tout cela une invitée inattendue que je pensais maîtriser, la pression. Celle qui aujourd’hui m’oblige à me prononcer non plus sur mon angoisse, celle que tu me demandes d’exprimer, mais bien celle qui, performative, m’oblige à me justifier et à développer un avis, que dis-je, presque une expertise d’ "indécis" sur les solutions à cette angoisse, le vaccin. Sache que la pression ne voyage jamais seule, elle trimbale avec elle un tas d’injonctions qui la constituent et qui, quand elles sont omniprésentes, pèsent lourd."

"Tu es franche, je vais l’être aussi. La science n’est pas exacte7. Elle ne me permettra jamais d’apporter à mes propos autant de certitude qu’il y en a dans les tiens. En revanche, la science, et plus spécifiquement la médecine en laquelle je crois, m’autorise à te rassurer en t’expliquant que oui ce vaccin est maîtrisé, le caractère inédit de toute cette crise réside aussi dans l’énorme échantillon de personnes vaccinées en peu de temps (certes !) qui nous permet d’avoir une connaissance rapide, elle aussi inédite. Aucun vaccin jusqu’ici n’aurait pu être validé aussi vite je te l’accorde, aucun vaccin n’a pu bénéficier d’un aussi grand volume de personnes vaccinées en si peu de temps non plus8, retiens cela. C’est là sa force ! Hier, aujourd’hui ou demain, la médecine ne s’autorisera jamais à te dire que tu ne risques rien. Le "risque zéro" lui ne s’invite jamais à la table des sciences, il fait presque partie d’une planète sur laquelle nous ne parviendrons jamais à mettre un pied. A contrario, le risque d’être contaminé et de développer une forme sévère, lui, ne vient pas sur carte d’invitation. On ne maîtrise pas tout, on connaît sa présence, et celle-là même suffit à considérer le vaccin comme son double bénéfique — si l’un s’invite, autant que l’autre l’accompagne."

"Je comprends, comme les inséparables qui ne le seraient pas, qu’il faut maintenant considérer la présence du virus et de sa contamination comme impliquant l’indispensable présence du vaccin. Je comprends aussi que les risques associés au vaccin sont sans aucun doute plus faibles que les risques associés à la réalité d’une vie lambda. Je comprends que le vaccin n’est pas un compagnon de route inconnu, que plusieurs fois dans l’histoire nous avons déjà dû le faire monter en auto-stop. Mais cette fois, sur une route que je découvre, j’ai peur de le faire monter sur la place passager. Cela fait-il de l’indécision une faille dans la citoyenneté ? "

"La science ne peut que t’inviter à continuer à te poser des questions et à légitimer ces dernières. Sans questions, il n’y a pas de réponses. Le flottement dans lequel tu es est normal : crise de la citoyenneté9, absence de confiance dans les politiques générales, manque de clarté ou de consensus, immersion dans le monde des fake-news10, etc. sont aussi ce qui aujourd’hui contribue à ton état, et sans doute malgré toi. Aujourd’hui, moi, la science je peux développer la liste des éléments scientifiques, mais pour cela il faut pouvoir lui accorder un brin de confiance. Pouvoir me concéder une certaine honnêteté intellectuelle et un crédit suffisamment raisonnable. Aussi, moi la science, si tu m’invites à ta table je continuerai à considérer tes angoisses, à ne pas les placer entre parenthèses dans notre discussion, ce sont elles aussi qui nourrissent ton esprit critique. En quelque sorte, tes craintes et tes ambivalences participent à faire évoluer la science, car c’est grâce à elles et à ce qu’elles nourrissent comme interrogation chez toi que je peux sortir de ma zone de confort et emprunter à la pédagogie des armes de taille pour te répondre. Je pourrais n’utiliser que des repères qui ne te parlent pas, je pourrais te parler uniquement des décès et de leur nombre, je pourrais emprunter les arguments de la terreur. Je n’en ai pas envie. Je pense que ma responsabilité est de t’informer de la réalité, et les morts ou les cas critiques en font partie certes. Ceci étant je n’ai pas envie de te convaincre, je ne veux que contribuer à ta réflexion."

"Tu me parlais de rapport au temps, mais aussi d’urgence. D’un départ imminent d’une quatrième vague, ai-je le temps de mon indécision ? "

"On a le temps qu’on se donne. On a le temps qu’on est confortable de se donner. Si l’année et demie qu’on a passée ne nous a pas permis de contrôler totalement l’évolution du virus, en revanche elle nous a amenés à mieux le cerner dans sa compréhension. Ce n’est plus un inconnu. Tu le disais toi-même, il s’invite facilement à notre table, ce qui nous a laissé de nombreuses occasions de le questionner et d’apprendre à le connaître. C’est à partir de toutes ces rencontres que l’on peut aujourd’hui prévoir les moments auxquels il débarque. Tout nous permet de savoir que sa prochaine visite aura lieu et qu’il est important que toi, l’indécis, tu puisses assumer ta position et la vivre en paix."

Le dialogue entre ces deux réalités ne s’arrêtera sans doute pas là et c’est la raison pour laquelle cette brève chronique n’offrira pas de conclusion. Cet échange peut seulement laisser place à un temps de rencontre des opinions, entre elles. À une parenthèse au cours de laquelle soit on s’appropriera l’information reçue, soit on la complètera, ou même on la rejettera ou on la remettra en question, toujours, à nouveau.

Donner le temps d’un aller-retour, aussi, entre soi et soi, c’est pouvoir considérer plus longuement des arguments qui, initialement, ne nous appartenaient pas, et finalement décider à un moment de "faire alliance" afin, précisément, d’habiter ce doute. N’oublions toutefois pas qu’aujourd’hui plus encore le temps "est relatif"11 et que face au contexte, il est nécessaire de coupler ces interrogations avec la notion d’urgence sanitaire.


1 D. THOMPSON, "How mRNA Technology could change the world", TheAtlantic.com, mars 2021, [En ligne :] https://www.theatlantic.com/ideas/archive/2021/03/how-mrna-technology-could-change-world/618431/, consulté le 15 juillet 2021.

2 M. CHABALIER, "Mélanome : une thérapie ciblée", Sciences Ouest, octobre 2017, [En ligne :] https://www.espace-sciences.org/sciences-ouest/355/dossier/melanome-une-therapie-ciblee, consulté le 15 juillet 2021

3 Conseil Supérieur de la Santé : "Recommandations en matière de vaccination contre le SARS-COV-2 de la femme enceinte, souhaitant devenir enceinte ou en période d’allaitement au moyen d’un vaccin ARN-Messager", Décembre 2020, CSS n° 9622, version adaptée du 18 février 2021, [En ligne :] https://www.health.belgium.be/sites/default/files/uploads/fields/fpshealth_theme_file/20210226_css-9622_covid-19_vaccination_pregnant_breastfeeding_woman_vweb.pdf#page=5 consulté le 14 juillet 2021

4 Z. LAIDI, "L’adaptation à la contrainte internationale passe enfin par une prise en compte économique, sociale et culturelle de l’accélération du temps." (p.180) Espace, vitesse et sens à l'heure de la mondialisation. In: Politique étrangère, n°1 - 1996 - 61ᵉannée, p. 179-190.

5 T. BEN JELLOUN, "Le racisme expliqué à ma fille", Paris : Seuil, 2009.

6 R. BENZINE, "Lettre à Nour", Paris : Poche, 2019.

7 P. BESSON, "La science n’est pas exacte, telle est la leçon de la crise sanitaire", Europe1.fr, novembre 2020, [En ligne :] https://www.europe1.fr/emissions/la-carte-blanche/la-science-nest-pas-exacte-telle-est-la-lecon-de-la-crise-sanitaire-4006050, consulté le 15 juillet 2021.

8 "Covid-19 dans le monde : 3 milliards de doses de vaccins administrées", Le Monde, 29 juin 2021, (En ligne :] https://www.lemonde.fr/planete/article/2021/06/29/covid-19-dans-le-monde-3-milliards-de-doses-de-vaccins-administrees_6086230_3244.html, consulté le 15 juillet.

9 J. VANSTALLE : "Vacciner l’Homo economicus : inciter les individualité à défaut d’éveiller la citoyenneté", Bruxelles : CPCP, 2021.

10 P. COURTEILLE : "Une crise sanitaire en pleine crise de confiance", Bruxelles : CPCP, 2021.

11 G. DAGORN, "Comment la théorie de la relativité d’Einstein a changé nos vies", Le Monde, 27 novembre 2015, [En ligne :] https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2015/11/27/comment-la-theorie-de-la-relativite-d-einstein-a-change-nos-vies_4819236_4355770.html, consulté le 15 juillet 2021.