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Billet d'humeur n° 1 pour la thématique
Sociétés et Environnement - Janvier 2025

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Le 15 novembre 2024, le quotidien Le Soir annonçait que le gouvernement wallon prévoyait une réduction de 75% du budget régional alloué à la biodiversité. Cela signifierait un budget raboté de 24,6 à 6 millions d’euros [1]. Un collectif d’ONG et d’entreprises a rapidement réagi par le biais d’un communiqué de presse pour s’insurger de cette coupe budgétaire. Il rappelait notamment – et à raison – qu’une telle décision irait à l’encontre des engagements pris par la Belgique en matière de préservation de la biodiversité [2].

Du côté de la Ministre wallonne en charge de la nature, Anne-Catherine Dalcq, on s’est empressé de remettre les « points sur les i ». Une part des budgets qui était auparavant gérée par son Ministère a été transférée au Ministère qui dispose, sous l’égide d’Yves Coppieters, de l’environnement dans ses compétences. « Si l’on prend en compte ces moyens transférés, la baisse des crédits dédiés à la biodiversité s’élève à 15 % et non 75 % », souligne donc la Ministre Dalcq[3]. Un communiqué publié sur le site web du Mouvement Réformateur (MR) précise d’ailleurs que « moins de budget ne signifie pas moins d’ambition ou de projets (…) nous agirons autrement, en étant plus efficaces, plus responsables et plus respectueux de l’impôt des citoyens »[4]. Faire mieux avec moins, la rengaine est vieille. Elle est connue depuis longtemps par le personnel soignant, les puéricultrices et tous les autres secteurs victimes du dogme austéritaire dont on nous annonce le retour en force en Europe [5]. Au-delà de ce vieux refrain, il convient de revenir sur le cadre idéologique et stratégique dans lequel vont s’inscrire les politiques environnementales de ce nouveau gouvernement wallon. À ce titre, un passage de la Déclaration de politique régionale wallonne (DPR) nous offre quelques éléments évocateurs :

« Nous aspirons à une société qui fait face au changement climatique et qui protège la biodiversité avec lucidité et pragmatisme, en privilégiant l’efficacité et le réalisme des solutions à mettre en œuvre avec volontarisme. Nous nous appuierons sur la science et l’innovation, notamment pour poursuivre le déploiement des énergies renouvelables, et nous mettrons en œuvre des politiques incitatives qui encourageront le monde industriel, le monde agricole et la population wallonne en général à poser des choix positifs en matière d’investissements, de mobilité, de logement ou d’alimentation. Cette approche optimiste et réaliste permettra de passer d’un climat d’angoisse à un climat de confiance. » [6]

Une politique environnementale optimiste, efficace, lucide… Autant d’adjectifs imposés comme des axiomes et qui ne sont pas sans rappeler une interview de Corentin De Salle, directeur du Centre Jean Gol (le centre d’études du MR), publiée par le quotidien l’Écho en février 2019[7]. Dans celle-ci, Corentin De Salle y propose le développement d’une « écologie bleue » en opposition à l’écologie « dominante » qui, selon lui, nous mènerait tout droit vers une économie planifiée, sorte de « plan soviétique » [8]. Rien que ça. Et qui pourrait lui donner tort ? Peut-être les résultats de la récente COP29 qui ont révolté les associations de défense de l’environnement [9]? Peu importe, le centre d’études du MR a des solutions pour lutter contre les dégradations environnementales tout en empêchant les écologistes « dominants » d’imposer leur totalitarisme illibéral. Dans son interview à l’Écho, il émet, par exemple, l’hypothèse que privatiser les baleines permettrait de lutter contre leur surexploitation [10]. Et voilà, déjouée la sixième extinction de masse ! [11] Lucidité, pragmatisme, efficacité. De manière plus générale, l’« économie bleue », portée par les têtes pensantes du MR, implique de laisser faire le marché et d’étendre les droits de propriété au vivant.

Or, la croyance selon laquelle le privé serait plus à même de limiter l’érosion de la biodiversité ne résiste pas à l’épreuve des faits. À titre d’exemple, en Wallonie, 95% des forêts publiques bénéficient d’une certification PEFC contre seulement 12% des forêts privées [12]. Par ailleurs, au cours de la précédente législature, le gouvernement wallon avait posé les bases d’une stratégie visant à imposer une limitation à l’artificialisation des sols. Le fait que la volonté de poursuivre cet objectif se retrouve dans la DPR du nouveau gouvernement envoie un signal positif [13]. En effet, il est peu probable que la « main invisible » fasse entendre raison aux promoteurs immobiliers. Reste à voir comment cet engagement s’articulera avec « l’objectif pour la législature […] de déployer 1.500 hectares pour favoriser la réindustrialisation et la création d’emplois industriels sur notre territoire » [14].

De manière plus générale, si certains indicateurs liés à la biodiversité démontrent des améliorations en Wallonie [15], celles-ci sont principalement dues à la législation et donc à l’intervention publique. Et les derniers chiffres du Diagnostic environnemental de la Wallonie soulignent que celle-ci est encore largement insuffisante. Ainsi, au cours de la période 2013-2018, 75% des espèces d’intérêt communautaire se trouvaient dans un état de conservation défavorable. Et la réalité pourrait être encore plus alarmante puisque des données sont manquantes pour un large nombre d’ [16].

On rappellera que les principales causes de l’érosion de la biodiversité en Belgique sont l’intensification de l’agriculture, l’exploitation des forêts, la destruction ainsi que la dégradation et la fragmentation des habitats naturels [17]. Il est établi que les activités industrielles et l’agriculture intensive exercent une très forte pression, directe ou indirecte, sur la biodiversité. Ainsi, entre 1990 et 2022, les populations d’oiseaux communs vivant au sein de milieux agricoles ont chuté de 60% en Wallonie. C’est donc, en moyenne, une perte annuelle de 3% sur les trois dernières décennies. Dans le même temps, la superficie dédiée aux prairies permanentes a chuté de 22% entre 1980 et 2022 [18].

Or, la biodiversité constitue la clé de voûte du bon fonctionnement des écosystèmes, en ce compris, de la capacité des humains à vivre au sein de leur environnement. Une biodiversité riche permet, entre autres, d’assurer les processus de pollinisation, de lutter contre l’érosion des sols, de prévenir les graves inondations et le développement de pathogènes, etc. À cela s’ajoute son rôle essentiel pour la régulation du climat et la séquestration du carbone. Nous l’avons vu, la préservation de la biodiversité doit s’appuyer sur des politiques publiques ambitieuses à mêmes de s’opposer à la recherche permanente de profits à court terme du secteur privé. Le fait que la DPR regrette expressément que « les législateurs fédéral et régionaux belges ont souvent tendance à anticiper ou surpasser les normes européennes et internationales, que ce soit en matière économique, fiscale ou sociale » [19] laisse peu de doutes quant à la réelle volonté d’encadrer les activités économiques au profit d’une politique écologique ambitieuse.

Tous les liens ont été vérifiés le 8 janvier 2025.

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