La désobéissance civile (DC) « ne connait pas une définition universellement reconnue » (Forst M., 2024), mais elle traverse le temps avec des personnalités phares comme Thoreau, Gandhi ou encore Martin Luther King. La littérature abonde à ce sujet. Ses auteurs (Arendt, Rawls, Dworkin, etc.) détaillent chaque élément de sa typologie et tentent de la définir au regard de la démocratie. A l’instar de QUINOA asbl, nous avons décidé de retenir 8 éléments-clés. La DC est : publique, collective, au nom de l'intérêt général supérieur [le Bien Commun], illégale, non-violente, en dernier recours, décidée en conscience et elle en assume les conséquences. Des poursuites judiciaires peuvent être engagées et conduire à des amendes et/ou à la prison. La DC n’agit pas seulement pour dénoncer une injustice, mais pour obtenir la justice, au-delà même parfois de ce que la loi prescrit. Si le procès peut être lourd de conséquences, il peut aussi être une occasion de donner une visibilité publique à l’injustice dénoncée, de modifier le rapport de force et in fine de faire évoluer la loi ou la jurisprudence.
En Belgique, le droit à la désobéissance civile « n’est pas expressément consacré, ni par le pouvoir législatif ou constituant, ni par le pouvoir juridictionnel » (Charles S., 2023). Salomé Charles, dans son travail universitaire sur la DC belge, apporte ces éclaircissements sur la complexité de sa mise en œuvre dans le droit belge. Nous pouvons retenir que la DC, est un acte qui vise à éveiller les consciences, dépasse largement la sphère juridique car elle est surtout de nature politique. Ainsi, l’absence de cadre dans le droit belge a pour conséquence de laisser le pouvoir à la libre interprétation du juge, toujours à la lumière de la loi. Toutefois, le juge qui apprécie les actions de DC, tenu de statuer sur la base du droit pénal uniquement, ne peut rendre une réponse pleinement satisfaisante au regard de la question sociétale soulevée. Finalement, le droit belge, malgré une certaine tolérance des juges, tend à dissuader les acteur·ices de la DC d’agir, en raison de l'absence de reconnaissance formelle et spécifique de son état de nécessité par les tribunaux. Nous ne pouvons cependant pas nier que la justice pénale est une opportunité pour les désobéissant·e·s de faire entendre leurs arguments, mettre en lumière l’injustice pour le grand public et avoir un effet sur la jurisprudence. En somme, et pour ouvrir la réflexion dans notre monde actuel : faut-il légiférer la désobéissance civile, un principe foncièrement subjectif, dans un but de le légitimer, au risque de cloisonner ce levier d’action et de lutte face à l’effondrement de notre démocratie représentative ?
Nous pensons que le droit et les politiques belges en matière de logement sont fondamentalement sources d’inégalités et que la contestation est nécessaire. Dans ce sens, Arendt défend le besoin essentiel de DC et souligne la nécessité de « faire une place à la DC dans le fonctionnement de nos institutions publiques » (1994, p.107). De plus, Rancière (2010) amène une autre dimension à la DC avec le dissensus. C'est le moment où les dominés ou les exclus se lèvent pour renverser, à leur échelle et de façon précaire, le rapport de force et ainsi redéfinir ce qui est visible et légitime dans la société. Ils créent leur propre espace démocratique pour mieux exiger une véritable égalité dans l’espace urbain. Enfin, Butler (2021) prône la non-violence, une attitude éthico-politique qui ne vise pas à renverser le pouvoir établit, même s’il est considéré comme illégitime et injuste, mais à affirmer sa présence politique dans l’espace public face aux logiques d’exclusion.
La désobéissance civile, et non pas uniquement « criminelle », est aujourd’hui réprimée et criminalisée par les autorités politiques dans le cadre du logement par le squat, les expulsions, l’accueil des sans-papiers chez soi, etc. Un cas concret, les squatteur·euse·s ont été poussé·e·s vers l’extrémité du spectre de la DC en 2017 avec la loi anti-squat (modifiée en 2022). Tout à coup, leur pratique d’habitat pour éviter la rue, pour compenser une expulsion scandaleuse ou autre, devient criminelle et pénalisée. C’est sans parler de l’accélération du processus d’expulsion des occupant·e·s lors d’une requête unilatérale douteuse au tribunal par le propriétaire. En effet, lorsque les occupant·e·s ne sont pas identifié·e·s, le·a propriétaire a le droit de plaider devant le juge (sans avoir averti les personnes concernées), et gagne presque toujours le procès d’expulsion. Or, dans la grande majorité des cas, le·a propriétaire est informé de leur présence par les occupant·e·s. eux/elles-mêmes au début de l’occupation (mémorandum RBDH, p.38-39). Cette stratégie par la voie juridique, dont souvent le propriétaire se saisit fort de son capital social, économique et symbolique, cristallise un rapport de domination au détriment de familles entières, laissant le logement vide à nouveau pour un temps...