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Le sanitaire sans nous taire

La participation citoyenne, pour une gestion éthique des crises à venir ?

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Deux ans. Cela fait déjà deux ans que notre quotidien a été bouleversé, lorsque le SARS-COV2 fut officiellement déclaré épidémie par l’OMS le 11 mars 2020. Avec la guerre en Ukraine, le risque est grand d’oublier de faire le bilan de la crise sanitaire mondiale qui a eu des conséquences sans précédent en Belgique. Cet ébranlement nous a tous et toutes impactés - quel que soit notre âge, genre, situation socio-économique - bien que de façon inégale1. Bien conscients de la complexité des paramètres auxquels les décideurs sont confrontés, notre but ici n’est pas tant de blâmer les décideurs que de les inviter à élargir leurs regards pour poser des choix les plus éthiques et inclusifs possible. Il s’agit de mieux préparer les prochaines crises en développant une réelle participation citoyenne faisant de chacun une partie prenante plutôt qu’un automate devant suivre des règles qui peuvent parfois paraître floues ou contradictoires. Si, pour reprendre les mots du Premier Ministre, "nous sommes une équipe d’11 millions", il est temps d’envisager des ajustements tactiques.

L’éloignement du citoyen envers le politique était déjà marqué. Force est de constater que les inégalités, la précarité et la polarisation sociale se sont accentuées au fil de ces deux années. En tant que citoyens et acteurs du milieu associatif, notre objectif est de porter l'attention sur les enjeux éthiques et les valeurs accompagnant toute mesure sanitaire exceptionnelle en incluant les citoyens à côté des experts et des politiciens. Concrètement, dans un contexte de gestion de pandémie, chaque choix implique des enjeux éthiques et sociaux qui doivent être discutés avec la population en amont, autour des concepts éthiques de liberté, de solidarité, d’équité, de sécurité et de légitimité.

Voici trois pistes qui sont ressorties lors d’échanges citoyens via des focus groups2 en ligne dans le cadre du projet Belgéthique :

1. Favoriser une culture de la participation citoyenne

En 2007 déjà, l’OMS avait déjà recommandé la prévention et la co-construction de protocoles de gestion de santé publique et de pandémie3, et plus largement, a appelé à favoriser le débat citoyen sur les questions éthiques. Mais qui doit mener le débat sur la santé publique ? Qui est invité à s’exprimer et à y participer ? 4

En tant que citoyens engagés et acteurs de la participation citoyenne, nous demandons aux autorités d’investir, de manière durable, dans l’éducation citoyenne et sanitaire à tout âge, et ce à travers une pédagogie participative. Nous voulons en effet adopter la recommandation de l’OMS qui conseille un large débat sur les enjeux éthiques comme partie intégrante de tout plan de préparation aux pandémies.

Nous demandons de promouvoir l’activation des mécanismes de participation citoyenne comme un élément qui favorise la coresponsabilité du citoyen lors d’une crise humanitaire, sociale et de santé publique. Nous souhaitons donc favoriser ce sentiment en amont, avant d’attendre une crise (via le système éducatif, la formation continue, la société civile, des applications, des espaces citoyens, des processus participatifs…).

Des initiatives sont déjà en place en Belgique et ne manquent pas dans la société civile. Dans l’enseignement, on peut citer les écoles citoyennes5, les écoles démocratiques ou encore les écoles de pratiques restauratives.6

2. Élargir les points de vue pour changer de regard

Nul ne compte retirer la légitimité du point de vue d’un scientifique sur des questions liées à la santé publique. Cependant, selon les citoyens qui se sont exprimés dans nos focus groups, des acteurs n’ont pas toujours été invités ou représentés sur un plan d’égalité aux "tables de gestion"7 de la pandémie (par exemple, les syndicats, le monde de la culture, les jeunes, les associations d'aînés, les citoyens, les sciences sociales entre autres). Nous demandons que les représentants de la société civile, des associations, des “experts du vécu” tels qu’on les nomme en Éducation Permanente, soient davantage présents au sein des comités d’experts.

Certes, il n’est pas toujours facile de s’y retrouver en Belgique. Les institutions sont démultipliées. Le terrain associatif est morcelé. Chacun produit des prodiges (initiatives, enquêtes, rapports, plaidoyers,...) sur son territoire. Il arrive fréquemment que les associations produisent des doublons aux interstices ou en fonction de territorialités qui se superposent en fonction de niveaux de pouvoir différents, par faute de concertation. Pour plus de cohérence, nous invitons dès lors les autorités à actualiser le cadastre de chaque association afin de les regrouper par pôles d'expertise ainsi que soutenir les dynamiques de concertation locale entre associations, réclamées par le terrain.

3. (Re)construire, ensemble.

Du point de vue des citoyens, les interlocuteurs ont évoqué dans les discussions en ligne le fait de ne pas toujours se reconnaître dans le discours politique. L’exemple-phare se résume en un mot désormais symbole : KAYAK8. Alors que des familles s’enfoncent dans la précarité, le palindrome "Kayak" illustre le différentiel des réalités et l’incompréhension des mesures sanitaires prises par le gouvernement pour une grande partie de la population. Alors que des familles s’enfoncent dans la précarité, une autre partie de la population est autorisée à aller faire du Kayak.

Si la contradiction est saine pour aboutir à un mieux, la polarisation n’est par contre pas une fatalité. Un rapprochement "décideurs - citoyens" permettrait de mieux connaître les considérations provenant de part et d’autre au moment d’influencer une décision politique qui se veut objective et nécessaire.

De manière plus structurelle, nous voulons renforcer la démocratie sanitaire, c’est-à-dire repenser le système de gouvernance de la santé publique à travers des mécanismes formels et permanents de consultation et de codécision avec les citoyens dans la priorisation des dépenses et dans la prise de décisions.  Pourquoi pas, à cet égard, développer une application qui permettrait aux citoyens de guider et contribuer à déterminer le pourcentage pour chaque poste de dépenses publique ?

Le débat éthique doit tenir en compte aussi des droits des citoyens d’autres pays et des futures générations. Le virus que nous connaissons n’a pas de frontières, et les réflexes du "nationalisme sanitaire" sont non seulement inefficaces et absurdes. Afin de mieux se préparer aux crises futures, il est temps de prendre au sérieux et d’activer les mécanismes de participation citoyenne structurant les discussions sur les enjeux éthiques passés, en cours et futurs.


Les signataires :

Le CPCP en collaboration avec Davide Ziveri et Valentina Pomatto, pour le projet Belgéthique


1 https://www.health.org.uk/publications/build-back-fairer-the-covid-19-marmot-review

2 Définition Focus Groups : Le focus group est une méthode qualitative utilisée pour connaître les opinions d’utilisateurs au sujet d’un concept. Plus concrètement quelques participants se réunissent au sein d’un groupe de discussion – FGD ou "Focus Group Discussion" en anglais – conduit par un animateur, avant le lancement d’un projet pour donner leur avis, selon une structure particulière. La méthodologie de nos Focus groups se base sur une dynamique participative largement utilisée en Éducation Permanente.

3 World Health Organization. (2007). Ethical considerations in developing a public health response to pandemic influenza. World Health Organization. https://apps.who.int/iris/handle/10665/70006

4 Par ailleurs, le rapport sur les droits fondamentaux de l’Agence des droits fondamentaux de l’Union Européenne stipule que les États "devraient veiller à ce que {…} les tribunaux, les parlements, les organismes de défense des droits de l’homme et d’autres parties prenantes, y compris la société civile, puissent avoir un droit de regard sur ces mesures"

Source : UN General comment N° 14 (2000) on the Right to Health).apport sur les droits fondamentaux 2021 de l’Agence des droits fondamentaux de l’Union Européenne

5 https://www.ecolecitoyenne.org/

6 https://icg.brussels/pratique-preventive-restaurative-Gheude

7 En référence à une "table de négociation"

8 https://www.levif.be/actualite/belgique/le-kayak-symbole-de-l-incomprehension-autour-du-deconfinement/article-normal-1282427.html?cookie_check=1646916341