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La décision de la Cour suprême étasunienne d’abolir le droit constitutionnel à l’avortement sonne le glas d’une ère progressiste et protectrice des droits des femmes aux États-Unis. Dans les quelques heures qui ont suivi cette décision, la criminalisation (quasi) totale de l’avortement a été promulguée dans plusieurs États fédérés et risque de s’implanter dans près de la moitié d’entre eux.1 Cette décision ouvre la voie non seulement à des interruptions de grossesse clandestines et risquées mais aussi à la criminalisation généralisée de la gestation. En d’autres termes, elle expose les femmes à un processus brutal et intrusif de surveillance et de contrôle de leurs corps.2 Cette décision affectera plus spécialement les femmes dans une position de précarité financière, matérielle et/ou administrative. En effet, nombreuses sont celles qui n’auront pas les moyens de se déplacer dans d’autres États où l’avortement reste légal pour bénéficier d’une opération sûre et encadrée.
En Europe, le droit à l’avortement n’est pas non plus inscrit dans le marbre et se trouve menacé par l’essor des partis conservateurs et d’extrême droite dans certains pays. Par exemple, avec Malte, la Pologne constitue l’un des pays européens les plus répressifs en la matière : en 2020 la Cour constitutionnelle du pays, sous l’influence du gouvernement en place, a supprimé une des trois exceptions légales sous lesquelles les femmes peuvent avorter (l’atteinte grave et irréversible au fœtus). L’avortement n’est ainsi plus possible que si la grossesse constitue une menace pour la vie ou pour la santé de la mère, ou si elle résulte d’un viol ou d’un inceste.
En Belgique, le délai légal endéans lequel une femme peut obtenir une interruption volontaire de grossesse est de 12 semaines. La Commission de la Justice de la Chambre avait en 2020 approuvé une proposition de loi en vue d’étendre ce délai à 18 semaines, de raccourcir le délai de réflexion obligatoire de 6 jours à 48h et de dépénaliser l’avortement (autant pour les femmes que pour les médecins). Bloquée par les forces les plus conservatrices du pays (dont la N-VA et le Vlaams Belang), la proposition a été rejetée en plénière. En cause, une manœuvre politique du CD&V qui conditionnait la formation de la coalition "Vivaldi" à l’abandon de cette proposition de loi. À titre de "compromis", un comité scientifique multidisciplinaire a été désigné par les partis au Gouvernement en vue de "dépassionner le débat" et d’informer un futur examen parlementaire.3 Cependant, une autre menace (que celle strictement politique) plane sur le droit à l’avortement en Belgique et ailleurs : la pénurie de médecins pratiquant l’IVG. Aujourd’hui, seule l’Université libre de Bruxelles dispense une formation, sur base volontaire, aux techniques de l’avortement dans le cadre du cursus de médecine générale. Les centres de planning familial, responsables de la grande majorité des IVG, dénoncent l’insuffisance des formations existantes depuis plusieurs années.4
Plus que jamais, il est dès lors question de se mobiliser pour défendre ce que des générations de femmes se sont battues pour obtenir : le droit effectif de disposer librement de son corps et de son avenir.
1 Cain Miller C., Sanger-Katz M., « What does the end of Roe mean ? Key questions and answers », The New York Times, 3 mai 2022 (mis à jour le 24 juin 2022), [en ligne :] https://www.nytimes.com/2022/06/20/upshot/abortion-united-states-roe-wade.html, consulté le 27 juin 2022.
2 Tolentino J., « We’re not going back to the time becfore Roe. We’re going somewhere worse », The New Yorker, 24 juin 2022, [en ligne :] https://www.newyorker.com/magazine/2022/07/04/we-are-not-going-back-to-the-time-before-roe-we-are-going-somewhere-worse, consulté le 27 juin 2022.
3 Les conclusions du comité sont attendues d’ici la fin de l’année.
4 Commission nationale d’évaluation de la loi du 15 octobre 2018 relative à l’interruption de grossesse (loi du 13 août 1990), Rapport à l’attention du Parlement (1er janvier 2018 – 31 décembre 2019), février 2021.