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Par Catherine van Zeeland, Coordinatrice Recherche et Plaidoyer.
Petit retour en arrière. En février dernier, Test-Achat réalisait un sondage sur la volonté des Belges de se faire vacciner immédiatement contre la Covid-19. Seulement 40% de la population était prête à le faire et 12% déclaraient qu’ils refuseraient de se faire vacciner même si le vaccin devenait obligatoire1. Cette dernière question, était alors encore inaudible pour plusieurs raisons : d’abord pour des raisons pratiques car à l’époque, les autorités n’étaient pas encore certaines de parvenir à avoir assez de doses, ensuite pour des raisons politiques avec en fond la volonté de responsabiliser plutôt que d’infantiliser, enfin pour des raisons juridiques car il était clair déjà qu’une telle obligation devrait faire l’objet d’une loi, et donc nécessiterait un passage par le Parlement et le Conseil d’État, ce que le gouvernement ne souhaitait pas.
Dix millions de doses injectées plus tard, entre confiance, résignation et poussées dans le dos, le chiffre de vaccinés s’élève aujourd’hui, 18 juillet 2021, à 80% de personnes adultes ayant eu une première dose et donc fatalement une seconde dans les semaines à venir2. En cinq mois, plusieurs millions de personnes se sont donc fait vacciner.
Quel est alors l’intérêt d’une obligation, partielle ou totale ? Les questions qui se posent concernent autant l’individualité que la liberté, l’équité, la proportionnalité, la légalité… Cette courte analyse ne prétend pas aborder l’entièreté de la matière, mais nous allons cependant nous pencher sur trois aspects que touche la question de l’obligation vaccinale : éthique, légal et politique.
La question éthique liée à l’obligation vaccinale est principalement de deux ordres : quand le droit de choisir individuellement doit-il disparaître au profit de la collectivité ? Et d’autre part, quelles sont les informations qui doivent permettre le consentement éclairé, une question que nous aborderons dans le chapitre consacré à la légalité.
Abordons d’abord la question : "le droit de choisir doit-il disparaître au profit de la collectivité ?".
Une intéressante analyse a été faite par Jean-Michel Longneaux, philosophe de l’UNamur et rédacteur en chef de la revue "Ethica Clinica"3. Selon l’auteur, plusieurs conditions sont nécessaires pour rendre l’obligation vaccinale éthiquement acceptable pour tous. Pour lui, il faut "un danger imminent et avéré, une efficacité et une sécurité démontrées des vaccins sur le long terme, des modes de productions éthiques, une absence d’alternative et le respect d’un minimum de justice distributive sur le plan international". Et il ajoute : "en cas de doute – et tant que rien ne viendra changer la donne – le libre consentement devra rester la règle".4
Si Jean-Michel Longneaux pointe avec efficacité certaines questions, il en évite pourtant d’autres. Oui, la maladie tue peu : une moyenne de 0,67 % de la population selon les chiffres qu’il avance ; oui l’efficacité du vaccin n’est pas encore démontrée sur le long terme, oui l’attitude des firmes pharmaceutiques — qui refusent d’assumer leurs responsabilités en cas de séquelles dues au vaccin alors que dans le même temps elles ont empoché des milliards — est scandaleuse (ce qui équivaudrait pour l’État, selon l’auteur, à cautionner leur attitude et à s’en rendre complice) ; oui les vaccins ont été distribués aux pays riches d’abord. Mais l’auteur, pour interpellantes que sont ses réflexions, n’invite pas à se poser une question éthique fondamentale : qu’en est-il de notre individualité sous le prisme de notre rapport à l’autre ? Une altérité qu’on souhaite ardemment…, mais est-ce pour faire société ou pour nous dédoubler dans un autre qui nous ressemble totalement ? Et dans ce dernier cas, le système de solidarité dans lequel nous fonctionnons est évidemment sans aucun intérêt. Et c’est parmi ces derniers qu’on trouve sans surprise une importante proportion d’anti vaccin.
D’accord, la souveraineté de l’individu est depuis John Locke un credo incontournable. Cependant, comme le soulignent Nicolas Bouzou, économiste et essayiste français, et Raphaël Amselem, analyste en politique publique de la Sorbonne, "ce n’est […] pas par utilitarisme que l’obligation vaccinale se justifie. Il ne s’agit pas de maximiser la santé des gens, de faire le bien à leur place quitte à rogner sur leur liberté. Si le vaccin ne touchait qu’au rapport à soi et à son propre corps, alors aucune coercition ne saurait être exercée contre la volonté des individus. Mais le vaccin concerne bien le rapport aux autres, à leur corps, dont je ne saurais jamais être, d’une quelconque manière, le dépositaire."5
Bien entendu, les privations de libertés sont nombreuses (et trop pour certains qui hurlent au liberticide), mais on n’oublie parfois qu’elles le sont en regard avec l’étendue des opportunités qui s’offrent à nous (et les mêmes qui trouvent normal que notre système de santé ou notre système universitaire soit l’un des plus remboursé au monde). Nous payons des impôts pour que les routes soient entretenues ou que nous puissions aller dans un musée à un prix abordable. Notre liberté ne s’arrête pas seulement où commence celle d’autrui : elle se rétracte ou s’étend selon les situations. Et c’est probablement là que le bât blesse. Restreindre nos libertés sous la contrainte demande un effort et si celui-ci est battu en brèche par des doutes médicaux, il s’effondre. Au départ, notre liberté de choisir de se faire vacciner ou non, était clairement établie : une vaccination en masse et par paliers selon les arrivées des doses et pas encore de variants en vue. Depuis quelques semaines, tandis que les variants se sont imposés, la non-obligation vaccinale s’est peu à peu transformée en une obligation tout court. À part vivre seul dans une cave, il devient de plus en plus compliqué de ne pas être vacciné. En effet, le vaccin nous ouvre les portes des restaurants, des cinémas, des vacances, du travail, de la vie en quelque sorte. L’obligation légale est-elle alors encore nécessaire ? Et si c’est le cas, cette obligation ne doit-elle pas avant tout être d’abord coulée dans une loi ?
Interroger la planche savonnée du droit nécessite quelques préalables. Un seul vaccin est aujourd’hui obligatoire en Belgique, celui contre la polyomélithe. L’arrêté royal qui l’instaure date de 19666, et ajouter le vaccin contre la Covid dans cette loi est impossible. Une nouvelle loi devrait donc être votée. Outre le fait que celle-ci devrait passer sous les fourches caudines du Parlement et du Conseil d’État — ce qui est en soi une bonne nouvelle —, de nouveaux textes légaux existent depuis 50 ans qui pourraient rendre une telle obligation plus compliquée. Pourquoi ?
Tout d’abord, en raison de l’existence de la loi du 22 août 20027 qui brosse les droits qui découlent de la relation qui s’établit entre un praticien professionnel et son patient à l’occasion d’un soin. Parmi les divers droits ainsi instaurés ou précisés, on trouve notamment celui du libre choix du praticien ou celui du respect de la vie privée ou encore, en l’article huit de cette loi, le droit au consentement éclairé du patient dans le cadre de toute intervention effectuée par un praticien professionnel. Cette notion, importante dans le cadre de notre analyse, indique que, pour pouvoir avoir le recul critique indispensable à une prise de position et une décision, un patient doit pouvoir accéder à une information qui réponde à une série de conditions. Parmi celles-ci figurent l’accessibilité à l’information, son exactitude et la possibilité temporelle pour le patient de pouvoir prendre sa décision. De plus, le contenu de l’information doit préciser l’objectif poursuivi, le degré d’urgence, les contre-indications, les effets secondaires (sauf s’ils sont rares et peu graves), les risques inhérents et pertinents, les éventuelles complications ou conséquences désavantageuses, les alternatives possibles… La liste n’est pas exhaustive.
Il ne faut pas être grand clerc pour réaliser que plusieurs de ces conditions sont loin d’être remplies pas les vaccins anti-Covid. Les contre-indications et les effets secondaires sont encore à ce stade, quoiqu’on en dise, incomplètement connus8. Le degré d’urgence entre une obligation vaccinale totale avec ses risques pas totalement connus, et la faiblesse des "chances" d’en être gravement atteint pour les jeunes non atteints de comorbidités, n’est pas évidente à démontrer. Même si près de la moitié de la population mondiale a été vaccinée, la grande inconnue s’appelle : le Temps.
S’ajoute à cette loi belge, un article huit à nouveau, mais celui de la loi sur les droits humains qui consacre le droit à la vie privée et familiale9. Si elle autorise des dérogations, cela doit être dans le cadre d’un objectif légitime - et qui doit être précisé -, et être de plus, proportionnel et nécessaire. Le risque de surcharge des hôpitaux par exemple n’est pas proportionnel puisqu’il ne concerne que les personnes qui présentent un risque de complications. La balance bénéfice-risque est peu pertinente dans ce cas. Quant à la question de l’immunité collective, elle continue à faire débat sur les chiffres. Sans même parler du fait que les essais cliniques sur les vaccins anti-Covid qui ont reçu l’aval des autorités compétentes ne sont pas terminés. A noter cependant qu’un récent arrêt du 21 avril 2021 de la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH)10 qui était appelée à se prononcer sur le refus de parents en Tchéquie de la vaccination obligatoire de neuf vaccins sur leurs enfants, semble montrer que la Cour se prononcerait en faveur du vaccin obligatoire car il serait proportionnel aux objectifs poursuivis par l’État de protéger les populations d’un risque grave sur la santé. La Cour a jugé la vaccination obligatoire "compatible et nécessaire" dans un pays démocratique, mais cette approche serait-elle identique pour le vaccin anti-covid ? Il est fort possible que la réponse soit négative en raison du manque de recul sur les effets secondaires de ce vaccin.
Il faut être clairs : la question de l’obligation vaccinale pour tous ne pourra échapper à ces débats si on veut être prêts pour les pandémies à venir, des débats qui opposent des intérêts éthiques, commerciaux et politiques de santé à court et à long terme. Et c’est fort heureusement dans le cadre légal seulement que les politiques pourront le faire. Et si un manque de confiance, parfois important, existe entre eux et la population, il ne faut pas oublier qu’il leur faudra dans le cadre d’une telle décision passer par le Parlement, les commissions parlementaires, les experts en tous genres, les syndicats, les patrons, …. Gageons que, comme ils ne pourront pas invoquer comme depuis des mois, l’urgence, ils y prêteront une oreille attentive…
Un article dans la Libre du Soir du mercredi 14 juillet dernier, intitulé : "La prudence reste de mise sur la vaccination obligatoire des soignants" résume assez bien la question actuelle. Si la Fédération belge des soins de santé et l’Absym (association belge des syndicats médicaux) se prononcent clairement pour une obligation vaccinale pour les soignants, arguant que l’obligation en Italie a permis d’atteindre 98% de vaccinés parmi le personnel soignant, les politiques restent plus frileux à ce stade préférant sensibiliser encore et encore. De façon pragmatique, le président du cdH, Maxime Prévot, se posait ces questions : que se passe-t-il en cas de refus de vaccination ? Qui va soigner alors les patients ?
Les ministres de la santé de leur côté se sont chacun exprimés ces derniers jours sur l’obligation vaccinale pour les soignants, comme si la France avait donné le ton alors que la Grande-Bretagne, la Grèce ou l’Italie ont déjà installé cette obligation chez eux11. Pour Alain Maron, le Ministre bruxellois de la Santé - qui est particulièrement concerné puisque à peine plus de la moitié des soignants sont vaccinés en Région bruxelloise -, la réponse doit venir d’ailleurs : "Je pense que ça relève du Conseil supérieur du travail. Si les patrons et les syndicats, ensemble, devaient dire qu’ils sont favorables à une vaccination obligatoire, alors je pense que ça ouvrirait la porte. Mais obliger, sans avoir l’accord des partenaires sociaux, ça me semble assez délicat, car ça risque d’avoir des effets pervers"12. Quant au Ministre fédéral de la Santé, Franck Vandenbroek qui s’exprimait sur les ondes, il proposait d’abord une publication du taux de vaccination par institution pour sensibiliser celles qui présentent de trop faibles chiffres.
On le voit, la question de l’obligation vaccinale n’est pas simple. Que ce soit sur les plans éthiques ou légaux, cela pose beaucoup de questions, qui, si elles n’ont pas toutes été abordées ici, mettent en exergue le fait qu’on ne pourra en deux coups de cuillère à pot imposer une vaccination pour l’ensemble de la population. Il appartiendra au Gouvernement et surtout au Parlement in fine de décider si une telle loi est possible, proportionnelle et nécessaire en regard des impératifs de santé tant individuels que collectifs. Et d’éviter en tous les cas qu’une fois la décision prise, elle ne creuse pas davantage encore le fossé entre la population et le monde politique, minant alors plus encore la confiance pourtant indispensable afin de lutter contre les futures pandémies.
1 "Seuls 4 Belges sur 10 prêts à se faire vacciner immédiatement". Test Achat.03 février 2021 [en ligne :] https://www.test-achats.be/sante/soins-de-sante/prevention/news/sondage-vaccin consulté le 16 juillet 2021
2 A noter que nous sommes en troisième position européenne pour le nombre de vaccins administrés en première dose. Malte est en première place, ce qui n’a pas empêché une remontée spectaculaire des contaminations ces dix derniers jours, venant des étrangers fraîchement débarqués.
3 LONGNEAUX J-M., « Vers une vaccination obligatoire ? », La Libre, 24 février 2021 [en ligne :] https://www.lalibre.be/debats/opinions/2021/02/24/vers-une-vaccination-obligatoire consulté le 16 juillet 2021
4 Idem
5 BOUZOU N., AMSELEM R. « Le Pass sanitaire ou la vaccination obligatoire sont des politiques libérales » L’Opinion, 11 juillet 2021 [en ligne :]https://www.lopinion.fr/edition/economie/pass-sanitaire-vaccination-obligatoire-sont-politiques-liberales consulté le 16 juillet 2021
6 Arrêté royal rendant obligatoire la vaccination antipoliomyélitique [en ligne :] https://www.ejustice.just.fgov.be/cgi_loi/ consulté le 16 juillet
7 Art.8>§ 1er. Le patient a le droit de consentir librement à toute intervention du praticien professionnel moyennant information préalable.
Ce consentement est donné expressément, sauf lorsque le praticien professionnel, après avoir informé suffisamment le patient, peut raisonnablement inférer du comportement de celui-ci qu'il consent à l'intervention. A la demande du patient ou du praticien professionnel et avec l'accord du praticien professionnel ou du patient, le consentement est fixé par écrit et ajouté dans le dossier du patient.
§ 2. Les informations fournies au patient, en vue de la manifestation de son consentement visé au § 1er, concernent l'objectif, la nature, le degré d'urgence, la durée, la fréquence, les contre-indications, effets secondaires et risques inhérents à l'intervention et pertinents pour le patient, les soins de suivi, les alternatives possibles et les répercussions financières. Elles concernent en outre les conséquences possibles en cas de refus ou de retrait du consentement, et les autres précisions jugées souhaitables par le patient ou le praticien professionnel, le cas échéant en ce compris les dispositions légales devant être respectées en ce qui concerne une intervention.
§ 3. Les informations visées au § 1er sont fournies préalablement et en temps opportun, ainsi que dans les conditions et suivant les modalités prévues aux §§ 2 et 3 de l'article 7.
§ 4. Le patient a le droit de refuser ou de retirer son consentement, tel que visé au § 1er, pour une intervention.
A la demande du patient ou du praticien professionnel, le refus ou le retrait du consentement est fixé par écrit et ajouté dans le dossier du patient.
Le refus ou le retrait du consentement n'entraîne pas l'extinction du droit à des prestations de qualité, tel que visé à l'article 5, à l'égard du praticien professionnel.
Si, lorsqu'il était encore à même d'exercer les droits tels que fixés dans cette loi, le patient a fait savoir par écrit qu'il refuse son consentement à une intervention déterminée du praticien professionnel, ce refus doit être respecté aussi longtemps que le patient ne l'a pas révoqué à un moment où il est lui-même en mesure d'exercer ses droits lui-même.
§ 5. Lorsque, dans un cas d'urgence, il y a incertitude quant à l'existence ou non d'une volonté exprimée au préalable par le patient ou son représentant visé au chapitre IV, toute intervention nécessaire est pratiquée immédiatement par le praticien professionnel dans l'intérêt du patient. Le praticien professionnel en fait mention dans le dossier du patient visé à l'article 9 et agit, dès que possible, conformément aux dispositions des paragraphes précédents
8 A noter que les essais en phase trois des vaccins Pfizer et Moderna seront encore en cours respectivement jusqu’en 2023 et 2022
9 Article 8 – Droit au respect de la vie privée et familiale :
Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui.
https://rm.coe.int/1680063776#:~:text=Article%208%20–%20Droit%20au%20respect%20de%20la%20vie%20privée%20et%20familiale&text=Toute%20personne%20a%20droit%20au,domicile%20et%20de%20sa%20correspondance. Consulté le 15 juillet 2021
10 Belga. La Cour européenne des Droits de l’Homme juge la vaccination obligatoire « nécessaire dans une société démocratique » Le Soir, 08 avril 2021. [en ligne :] https://www.lesoir.be/365273/article/2021-04-08/la-cour-europeenne-des-droits-de-lhomme-juge-la-vaccination-obligatoire consulté le 16 juillet 2021
11 A noter qu’en Italie, 300 médecins ont porté plainte contre cette obligation. CHOGNOT J-P., « Vaccination obligatoire contre le covid. Voici ceux qui la pratiquent », Le Monde, 07 juillet 2021, [en ligne :] https://www.lavenir.net/cnt/dmf20210712_01596866/vaccination-obligatoire-contre-le-covid-voici-ceux-qui-la-pratiquent consulté le 15 juillet 2021.
12 Belga. “Pour Alain Maron, un accord social est nécessaire pour une vaccination obligatoire du personnel soignant », Rtbf, 07 juillet 2021. [en ligne :] https://www.rtbf.be/info/belgique/detail_pour-alain-maron-un-accord-social-est-necessaire-pour-une-vaccination-obligatoire-du-personnel-soignant? Consulté le 15 juillet 2021.