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Entre éco-consommation et carpe diem

Comment les Belges vivent l'urgence climatique

Analyse n°463 de Louise Vanhèse - octobre 2022


Quand nous avons commencé à écrire ces lignes, nous étions le 18 mai 2022 et la température de référence à Uccle était de 27,1°C.1 "Plutôt plaisant" me direz-vous ! Barbecue entre amis, weekend en bord de mer, cocktail en terrasse, les possibilités pour ce weekend étaient infinies et affluaient de toutes parts. Cependant, en Belgique, au mois de mai, 27,1°C c’est bien plus que les moyennes de saison qui sont de 12 à 15°C selon l’Institut royal météorologique. À l’heure où nous reprenons l’écriture de cet article, nous sommes le 19 juillet et les attitudes face à la chaleur prévue ont quelque peu changé. Une température record de 40°C est annoncée dans le Hainaut.2 Les médias alertent en masse sur cette chaleur exceptionnelle, certains commerces ferment leurs portes, des recommandations sont émises par les autorités publiques.3 Faut-il avoir peur ? Certains ont peur de l’avenir : du changement climatique et de tous les dérèglements que celui-ci implique, de l’explosion du prix de l’énergie, de la raréfaction de l’eau et de l’ensemble des problématiques qui mettent non pas la planète, mais l’humanité en péril.
Cette fois, ça y est, le changement climatique n’est plus un risque, il n’est plus remis en question, il est là et nous sommes en cause, nous, les êtres humains.4 Nos modes de vie vont devoir changer. Outre le changement climatique, c’est la pollution, la perte de biodiversité, l’épuisement des ressources qui doivent nous amener à nous questionner sur la société de demain.
Quel monde voulons-nous ? Un monde dans lequel on achète un nouveau smartphone tous les ans ? Un monde dans lequel on autorise l’arrosage de terrains de golf et on interdit celui des potagers en période de sécheresse ?5 Un monde dans lequel chaque tâche de la vie quotidienne peut être facilitée par un objet électronique ô combien pratique mais tellement énergivore ?
Un monde dans lequel on mange des fraises cultivées par des migrants exploités en Espagne et ce, à grand renfort de pesticides et d’épuisement des nappes phréatiques ? C’est ça le monde d’aujourd’hui. Un tableau certes peu optimiste, mais dramatiquement réaliste.
Au CPCP, les animateurs en éducation permanente sur la thématique de la consommation durable, sont confrontés à un public précaire. Celui-ci subit la société de consommation que ce soit en l’idéalisant ou en y participant par le biais d’achats de produits bon marché catastrophiques sur le plan environnemental. Ce même public va subir de plein fouet les augmentations du coût de l’énergie et de l’alimentation. Ces citoyens, comme beaucoup d’autres, à qui on demande de faire des efforts pour "mieux consommer" se demandent parfois si ce qu’ils font a vraiment du sens : "Pourquoi trier ses déchets si on les envoie au bout du monde dans des décharges à ciel ouvert" ? "Pourquoi me priver alors que les riches consomment plus que moi" ? "Pourquoi me culpabiliser de manger de la viande si c’est mon seul plaisir" ? "Pourquoi ne pas interdire ce qui pollue et nous imposer des pratiques écologiques ?"
Cette analyse, suite à ces questionnements a donc pour objectif d’aller à la rencontre de citoyens, éco-consommateurs 6 ou non, avec des profils variés. L’objectif n’est pas de généraliser, mais de récolter des ressentis connectés aux expériences personnelles de chacun. Nous avons interrogé douze citoyens confrontés à trois grands questionnements. Comment perçoivent-ils et vivent-ils la conjoncture actuelle ? Comment perçoivent-ils l’approche de responsabilisation du citoyen véhiculée par certains médias ? Quels sont leurs comportements de consommation au quotidien ? Cette analyse suivra donc cette trame et sera en grande partie éclairée par leurs témoignages.
Tout d’abord, nous aborderons la perception de la conjoncture sous trois angles : le changement climatique, l’augmentation du coût de l’énergie et plus largement l’inflation et, enfin, la destruction de la nature et des écosystèmes. Nous nous intéresserons également à la manière dont les citoyens vivent cette conjoncture au quotidien et nous nous pencherons sur le concept d’éco-anxiété. Ensuite, la deuxième partie de l’analyse se concentrera sur l’approche de responsabilisation du citoyen véhiculée par certains médias. Les consommateurs sont-ils les seuls responsables ? La troisième partie sera consacrée aux questionnements quant aux rôles de chacun dans la transition de la société. Le changement doit-il venir d’en bas ou plutôt d’en haut ? Faut-il accepter des mesures fortes ? Se rebeller contre la taxation ? Enfin, la dernière partie se penchera sur les comportements des citoyens au quotidien. Se considèrent-ils comme des éco-consommateurs ? Sont-ils familiers avec le concept de consommation durable ? Ont-ils changé leurs comportements à différents niveaux : alimentation, déchets, mobilité, etc. ? Et, surtout, quel impact cela a dans leur vie quotidienne ? Cette analyse se veut être le relais de la parole des citoyens : à la fois cri de détresse, appel à la mobilisation, profonde résignation ou encore inquiétude latente.

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1 À Uccle d’après le site Ogimet récoltant des données des stations météorologiques dans le monde entier.
2 "La Belgique suffoque : les degrés seront atteints ce mardi, alerte ROUGE dans le Hainaut", RTL info, 18 juillet 2022, [en ligne :] https://www.rtl.be/info/belgique/meteo/la-belgique-suffoque-le-40-degres-seront-atteints-ce-mardi-1390595.aspx, consulté le 19 juillet 2022.
3 "Vague de chaleur : rappel des mesures de précaution à prendre", [en ligne :] https://www.namur.be/fr/actualite/vague-de-chaleur-mesures-de-precautionwww.namur.be, consulté le 23 août 2022.
4ALLAN R.P., ARIAS A.P., BERGER S. et al., "Résumé pour les décideurs politiques de : Changement climatique 2021 : la base des sciences physiques. Contribution du Groupe de travail I au sixième rapport d’évaluation du GIEC", Cambridge et New-York:Cambridge University Press, 2021, 32 p. Accessible également en téléchargement sur le site https://www.ipcc.ch/report/ar6/wg1/about/how-to-cite-this-report/.
5 D’ALLENS G., "Arrosage des golfs, malgré la sécheresse, les dérogations pleuvent", Reporterre, 11 août 2022, [en ligne :] https://reporterre.net/Arrosage-des-golfs-malgre-la-secheresse-les-derogations-pleuvent?utm_source=newsletter&utm_medium=email&utm_campaign=nl_hebdo, consulté le 18 août 2022.
6 L’éco-consommateur pratique l’éco-consommation définie par l’ASBL Écoconso comme "un mode de consommation compatible avec le développement durable. L'éco-consommation implique des choix plus respectueux de l'environnement et de la santé lors du choix de mode de vie (lieu de vie, mobilité…), de l'achat des produits et le recours aux services, de l'utilisation des produits et des ressources, de l'élimination des produits", [en ligne :] https://www.ecoconso.be/fr/content/leco-consommation-cest-quoi, consulté le 28 septembre 2022.


Louise Vanhèse est conseillère en développement durable de formation ainsi que diplômée d’un master interuniversitaire en transitions et innovations sociales. Elle coordonne la thématique Consommation durable et est animatrice dans le Pôle Éducation permanente chez Citoyenneté & Participation.

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