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Le lexique du condamné

Itinéraire d'une infraction

Analyse n°419 de Raïssa M'bilo - octobre 2020


Ceux qui jugent et qui condamnent disent la peine de mort nécessaire. D’abord, – parce qu’il importe de retrancher de la communauté sociale un membre qui lui a déjà nui et qui pourrait lui nuire encore. – S’il ne s’agissait que de cela, la prison perpétuelle suffirait. À quoi bon la mort ? Vous objectez qu’on peut s’échapper d’une prison ? Faites mieux votre ronde. Si vous ne croyez pas à la solidité des barreaux de fer, comment osez-vous avoir des ménageries ? Pas de bourreau où le geôlier suffit. Mais, reprend-on, – Il faut que la société se venge, que la société punisse. – Ni l’un, ni l’autre. Se venger est de l’individu, punir est de Dieu. La société est entre deux. Le châtiment est au-dessus d’elle, la vengeance au-dessous. Rien de si grand et de si petit ne lui sied. Elle ne doit pas « punir pour se venger » ; elle doit corriger pour améliorer. Transformez de cette façon la formule des criminalistes, nous la comprenons et nous y adhérons. Reste la troisième et dernière raison, la théorie de l’exemple. – Il faut faire des exemples ! il faut épouvanter par le spectacle du sort réservé aux criminels ceux qui seraient tentés de les imiter !

Le dernier jour d’un condamné, Victor Hugo

Dans le cadre de nos formations, nous accompagnons différents publics. Parmi eux, des élèves du secondaire, certains scolaires, certains en stage d’accrochage scolaire pour dépasser une période de difficultés et de parenthèses dans leur parcours collégien ou lycéen. C’est à ces jeunes que nous proposons le module « Justice » dont l’activité « Justice à la barre ». Celle-ci leur permet de comprendre le fonctionnement d’un procès en assises en incarnant les différents acteurs dans le cadre d’un procès fictif inspiré de faits réels ayant défrayé la chronique belge au XIXe siècle. Ce module est une façon ludique de familiariser les élèves au monde judiciaire, troisième pilier de notre société dont la démocratie s’inscrit dans la séparation de trois pouvoirs interdépendants : le législatif, l’exécutif et le judiciaire.
Le pouvoir judiciaire condamne ceux qui enfreignent les lois émises par le pouvoir législatif, mandaté par la collectivité, et mises en application par l’exécutif. C’est un pouvoir distinct et indépendant qui fonctionne de façon autonome, selon ses propres principes et sans souffrir d’ingérence extérieure.
Après une introduction sur la justice en matinée, nous allons assister à un procès réel avec le groupe d’adolescents du SAS (service d’accrochage scolaire). Nous pénétrons dans l’imposant édifice de la place Poelaert, le Palais de Justice de Bruxelles. Après les contrôles au portique comme à l’aéroport, nous sommes écrasés par le poids de la Justice rationnelle, émanation de l’État souverain, en pleine salle des pas perdus. Le « Schieve architecte » à l’origine de ce bâtiment impressionnant a réussi son pari : forcer au respect, voire inspirer la crainte à ceux qui auraient défié la puissance de l’État régalien en rompant avec ses règles. Le Palais de justice de Bruxelles était un projet ambitieux, et quoique correspondant à la mode de l’époque par ses innombrables références antiques, il était innovant sur bien des aspects1. Il trône, colossal, sur l’ancien Mont des Potences, le Galgenberg, où l’on exécutait les condamnés au Moyen Âge 2, mais, plus important, il est le dernier arrêt d’un axe imaginaire qui partirait du Parlement et passerait par le palais royal. L’un et l’autre, incarnant le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif.
Mais l’État c’est nous, c’est bien en notre nom et pour la collectivité que la Justice pénale impartiale et équitable tranchera, rationnellement, dans le sens de l’acquittement ou de la condamnation. C’est bien en faveur de la paix sociale que la Justice tranche un litige civil en émettant la vérité judiciaire par un jugement « coulé en force de chose jugée ».
Même si nous n’en n’avons pas toujours conscience, la Justice, prérogative de l’État de droit, est donc en filigranes de nos existences. Les faits divers sont souvent l’illustration de la Justice qui vient en premier lieu à l’esprit des jeunes. Le jargon judiciaire, parfois malmené, n’est pourtant pas inconnu du grand public. Cependant, un mauvais usage du lexique juridique peut avoir un impact négatif sur ses principes fondamentaux. Ainsi la présomption d’innocence est souvent mise à mal par l’utilisation des termes : « le présumé meurtrier » et les procès sont parfois expédiés par l’opinion publique avant qu’un tribunal ou qu’une cour n’ait pu en prendre connaissance.
Outil indispensable du citoyen, protecteur et garant d’une société équitable non vouée à la loi du plus fort, la justice est pourtant mal connue. Voilà en quoi, nous considérons nos formations nécessaires : elles tendent humblement à pallier cette lacune.
Nous proposons d’axer cette analyse sur le droit pénal. Nous retracerons le parcours d’une infraction, nous expliquerons le rôle des acteurs et des organes impliqués. Quelques grandes affaires criminelles récentes émailleront notre réflexion afin de la rendre la plus concrète possible.

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1 G. Dubois, « La symbolique du palais de justice », in Academia.edu, [en ligne :] https://www.academia.edu/23038292/La_symbolique_du_palais_de_justice_de_Bruxelles_et_son_architecture, consulté le 4 novembre 2019.
2 J. Vanderborght et P. Vachaudez, « Le Palais de justice de Bruxelles : un géant au service de la justice », in anabf.org, Octobre 2017, [en ligne :] https://anabf.org/pierredangle/dossiers/xixe/le-palais-de-justice-de-bruxelles-un-geant-au-service-de-la-justice, consulté le 4 novembre 2019.


Raïssa M’bilo est chercheuse au CPCP. Elle est titulaire d’un master en droit à finalité Droit européen.

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