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Carte-blanche : "Voir la question vaccinale autrement"

Publié le


Par Quentin De Neyer.

Le texte qui suit est une opinion développée par l’auteur sur base des observations de son entourage direct et indirect. Elle est le fruit d’une réflexion personnelle, influencée par de nombreux échanges et lectures, et ne constitue en aucun cas une analyse systématique des arguments/points de vue des acteurs de la (très vaste) problématique de la vaccination.

Incompréhensible, incohérent, absurde, les adjectifs dont nous affublons celui qui ne veut pas se vacciner ne parlent que de l'incapacité de notre système de pensée à expliquer une réalité à laquelle nous sommes confrontés. Face à cet inconfort, on peut nier cette incapacité (ils sont mal informés, ils sont manipulés, ils sont fous, ils sont égoïstes) ou étendre notre pensée et nous plonger dans l'inconnu.

Premièrement, il s'agit de comprendre. Pour comprendre, il est nécessaire d’accorder aux croyances et valeurs de l'autre et aux nôtres une validité égale (il ne s'agit pas seulement de tolérer). Il s’agit d’approcher l'autre en sachant qu'on sera peut-être soi-même convaincu. C’est une démarche différente de celle que l'on a l'habitude d'adopter, qui consiste à comprendre pour convaincre, pour ajuster la communication de la campagne, pour manipuler à des fins positives.

Commençons ce voyage par l'exploration de nos propres certitudes :

Les gens hésitent/refusent parce qu'ils manquent d'information

Nous nous concentrons sur la face visible du conflit (les discours) sans prendre en compte son essence (les sentiments). Lorsqu'il y a asymétrie dans l'information et divergence de positions, notre premier réflexe est de croire que si l'autre savait ce qu'on savait, il penserait ce qu'on pense. Une majorité des gens qui refusent la vaccination dispose d'une information fausse ou incomplète, certes, mais combien maintiendraient leur position s'ils avaient l’information correcte ?

Il existe aussi une minorité très bien informée.

Enfin, les gens qui acceptent la vaccination ne sont pas forcément informés.

Le refus de la vaccination est un acte individualiste, tandis que son acceptation est un acte citoyen

Le choix de la vaccination se joue à la fois sur le plan individuel et sur le plan collectif/citoyen. On peut se faire vacciner pour sa santé individuelle ou pour partir en vacances, tout comme on peut refuser de se vacciner parce qu'on croit que la société se met en danger.

L'action de ces deux "forces motrices" est par ailleurs subordonnée à l'hypothèse que le choix est autonome. Pourtant, combien sont ceux qui acceptent ou refusent la vaccination sous la pression du ou d'un collectif, dont on sait qu'il neutralise les facultés de discernement individuelles1.

La science dit qu'il faut se vacciner

La force de la science est proportionnelle au respect des contraintes de sa méthode. Rappelons que notre confiance va en une communauté d'humains qui tentent comme ils peuvent d'appliquer la méthode scientifique, en

  • isolant tant bien que mal leur sujet,
  • se basant sur des postulats les plus consensuels possibles,
  • écartant toutes les théories/explications alternatives qui leur viennent à l'esprit.

On peut débattre de la confiance à accorder à cette communauté, mais contentons-nous de rappeler que :

  • l'exposition mondiale des recherches sur le coronavirus rend plus difficile la prolifération de travaux de mauvaise qualité,
  • on ne peut garantir que les suppositions qui font largement consensus ne soient remises en question par de nouveaux événements inattendus.

Par ailleurs, la communauté scientifique médicale n'émet pas de jugements ou d'opinions sur ce qu'il faut/convient de faire, elle se contente d’éclairer au maximum le débat. Il n'existe aucune modélisation globale qui prenne en compte toutes les variables psycho-socio-politico-économiques de l’équation et qui puisse effectuer à notre place l'arbitrage essentiellement éthique que requiert la mise en place d’une politique de vaccination.

Et si on posait la question à l'envers ? Si, dans un exercice un peu masochiste, on allait à la rencontre de ceux qui démentent l'ensemble de nos intuitions/certitudes ? Comment des gens bien informés, au sens civique élevé et dans un entourage pro-vaccin ne se vaccinent-ils pas ? Ils ne sont pas représentatifs de tous les hésitants, ils sont des exceptions qui infirment nos règles. Et peut-être nous apportent-ils également des clés utiles pour comprendre d'autres publics qui refusent (encore) la vaccination.

Résumé/extraits de conversations informelles avec cinq personnes qui refusent de se faire vacciner (démarche sans prétention scientifique)1

Indignation

L'hypocrisie du gouvernement et des citoyens est pointée du doigt. "Comment peut-on brandir l’étendard de la responsabilité sociale pour inciter les gens à se faire vacciner et rester de marbre face aux désastres humains qu'engendre notre mode de vie chez nous et dans le monde." S’il nous semble que l'hypocrisie ne constitue pas un argument en soi contre la vaccination, il apparaît qu’elle prédispose négativement ceux qui la ressentent.

Refus du projet

Une autre constante apparaît au fil des conversations. L'idée que la vaccination représente bien plus qu'une piqûre. La sensation qu'en allant se faire vacciner, on cautionne, on valide un projet global de sortie de crise. On en accepte donc aussi toutes les modalités. On accepte que :

  • les pays "développés" vaccinent en masse avant même que la majorité des pays aient accès au vaccin pour les personnes vulnérables ;
  • le développement et la production de vaccins est freinée par la non-levée des brevets ;
  • les personnes qui ne se vaccinent pas sont discriminées pratiquement et psychologiquement;
  • Etc.

Refus de la manière

"Il n'y a aucun débat public. Il n'y a qu'une campagne agressive où la nuance n'a pas sa place".

Déceptions

"Au début de la crise, j'ai cru que le chaos nous obligerait à transformer notre société. Je m'accroche encore à cet espoir."

"Se faire vacciner aujourd'hui, c'est revenir au monde d'avant, et le monde d'avant je n'en veux plus."

"Si le COVID ne réussit pas à bousculer une société qui court à sa perte, alors rien ne le pourra."

Peurs

Peur d'une situation de dépendance de la société aux firmes pharmaceutiques.

Peur qu'on oublie les dysfonctionnements du modèle au fur et à mesure du retour à la normale.

Peur d'un état disposant d'outils de tracing et de surveillance accrus.

Au risque de favoriser une crise majeure ?

Globalement, oui. C'est un risque assumé, parfois mitigé (limitations des comportements à risque) et souvent comparé (avec leurs prédictions sur l'avenir du monde). Ce n'est pas un choix facile, ça coûte parfois des amitiés.

À tort ou à raison (si seulement c'était si simple), des personnes ne souhaitent pas se faire vacciner. Si nous voulons construire ensemble un projet de sortie de crise, il faut arrêter de leur dire que le vaccin n'est pas dangereux ou qu'ils sont égoïstes. Au mieux, on peut essayer sincèrement de comprendre les raisons intimes qui les freinent (ça peut également les aider à clarifier leur posture). De notre côté, à quel point sommes-nous prêts à modifier notre projet pour qu'il intègre les aspirations de 90% de nos concitoyens ? Que sommes-nous prêts à garantir/promettre pour espérer leur adhésion ? Sommes-nous disposés, par exemple, à envoyer nos stocks de vaccins à ceux qui n’y ont pas accès avant de continuer notre campagne ? Ou à lever les brevets sur les vaccins (indépendamment du fait que ce soit ou pas une bonne idée) ?

Dans le climat actuel, beaucoup d'hésitants font profil bas. D'autres, plus convaincus et parfois moins subtils, affichent leur refus de la vaccination, mais pas toujours les vraies raisons. Si on les considérait tous avec bienveillance, on entendrait peut-être, en filigrane de leurs arguments (même les erronés), des revendications légitimes. Cela requiert une autre disposition mentale, celle d'accepter que leur comportement puisse être tout aussi valide que le nôtre.


1 LE BON, Gustave. Psychologie des foules. F. Alcan, 1900.

2 Tous les sujets sont des résidents belges entre 25 et 45 ans avec une formation universitaire et issus d’un milieu socio-économique moyen à élevé.