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Philippe Courteille - décembre 2024
Deepfakes Le mensonge à l’ère de l’intelligence artificielle Etude n°50 de Philippe CourteilleDécembre 2024 Introduction Deepfakes , ou hypertrucages, apprendre à ne plus croire ce que l'on voit. «M entez, mentez, il en restera toujours quelque chose ». Cette célèbre, et peut-être apocryphe, citation de Voltaire n’est malheureusement pas dénuée de vérité. Le souci est que les quelques rumeurs que partageaient nos aïeux en petit comité se sont transformées, depuis internet et les réseaux sociaux, en flots continus et mondialement diffusés des fameuses fake news, ou désinformations intentionnelles, qui furent l’objet de notre dernière étude . Celles-ci sont particulièrement rentables car plus partagées sur les réseaux que les informations avérées . Elles peuvent aller des plus légères aux plus déstabilisantes, des plus basiques aux plus élaborées comme désormais les deepfakes ou hypertrucages. Ringards les textes pernicieux bien ficelés ou les trucages photos staliniens, désormais, les logiciels offrent la possibilité d’imiter l’écriture et la voix de n’importe qui, tout comme de changer le mouvement des lèvres, le visage ou le corps d’une personnalité sur une vidéo pour lui faire dire et/ou faire ce qu’elle n’a jamais dit et/ou fait. Et l’intelligence artificielle accélère leur perfectionnement. Déjà des sites proposent d’en réaliser en quelques minutes. Ces technologies, qui évoluent à une vitesse vertigineuse, sont désormais à la portée de tout individu, mais aussi de toute équipe de communication ou de dirigeants malintentionnés. Glenn Kessler, le rédacteur en chef de la chronique de vérification des faits du Washington Post, soulignait déjà en 2019 : « Nous avons vu une explosion de vidéos qui sont délibérément déformées, ou qui sont en train d'être montées d'une manière ou d'une autre pour changer la façon dont les gens voient ce qui s'est passé, cela va jusqu'aux deepfakes (…) Au cours des deux dernières années, nous avons étendu le factchecking aux vérifications de faits vidéo. Ils obtiennent cinq fois plus de vues que nos vérifications des faits de texte. C'est une indication du nombre de personnes supplémentaires qui obtiennent leurs informations par vidéo plutôt que par écrit » . Depuis, les spéculations vont bon train quant aux dérives hypothétiques d’un tel outil mis entre les mains du premier venu. Cela flirte parfois avec la science-fiction mais nous allons tenter d’énumérer les plus vraisemblables et d’en analyser les risques potentiels. L’un des premiers deepfakes européens a eu lieu en Belgique dès 2019 et même la Première ministre Sophie Wilmes en a été victime l’année suivante, sans conséquence sur la crédibilité de celle-ci. Mais en 2023 un rapport de la société Sumsub , entreprise anglaise de sécurité en ligne, annonce que la Belgique fait partie des pays les plus touchés par l’explosion des deepfakes voyant le nombre de fraudes par deepfake exploser de 2950 % cette année-là, presque autant que les Américains, avec +3000 % de cas. Le sujet était relativement peu abordé en Europe avant 2022-23, en comparaison avec les craintes qu’il suscite aux États-Unis depuis cinq, six ans. Il faut dire que ce pays est encore sous le coup des élections de 2016 et du scandale Cambridge Analytica ou encore des immixtions russes dans ce processus électoral. Depuis l’élection de Donald Trump et le Brexit, les fake news cumulées aux données personnelles des citoyens sont vues comme une arme de propagande très tentante pour des équipes politiques à travers le monde. Beaucoup d’élites américaines se demandent quelles seraient dès lors les conséquences de vidéos truquées dans les campagnes à venir, d’autant que les dernières étaient de plus en plus nauséabondes. Rappelons que Donald Trump n’hésitait pas à déclarer qu’Obama n’était pas américain, à qualifier Hillary Clinton de « crooked » , « crapule » en français, Joe Biden de « sleeping Joe », Joe l’endormi, et Kamala Harris de « folle », de « stupide comme un roc » et de « clocharde ». Dès 2019, Trump était capable de partager à chaud sur Twitter des photos et des vidéos de désinformations, notamment à l’encontre de Nancy Pelosi, présidente démocrate de la Chambre des représentants. Mais l’usage des hypertrucages était resté anecdotique en politique jusqu’en 2024, année qui a vu leur multiplication et des élections pour la moitié de l’Humanité. D’autant que Trump est désormais soutenu par Elon Musk, un homme influent et peu regardant sur la véracité des informations qui circulent sur son réseau X (ex Twitter), tout comme sur l’utilisation de son IA Grok pour propager de la désinformation et des deepfakes. Le camp démocrate ne manque pas non plus de mordant et est capable, dans sa communication, de flirter avec les limites de la bienséance voire de la légalité. Désormais ces trucages deviennent bluffant et se multiplient dans nombres de propagandes, d’arnaques ou d’intimidations. Et nous le verrons, les femmes en subissent de particulièrement perverses et violentes. Internet est devenu l’empire de la désinformation et beaucoup de responsables et de spécialistes s’en inquiètent, allant jusqu’à parler « l’infocalypse » . Mais est-il vraiment raisonnable d’imaginer qu’un jour une majorité de citoyens, excités par la lumière bleue de leurs écrans, espérant y trouver la lune tels des papillons de nuit devant une ampoule incandescente, prendraient le risque d’y brûler les ailes de leur liberté démocratique ? Rien n’est moins sûr, même si pour beaucoup mieux vaut prévenir que guérir. En revanche, ce qui est clair, c’est que le terrain numérique, source de débats polarisés et de croissance des partis extrémistes, est de plus en plus propice à une désinformation par l’image et/ou le son, avec un réalisme déconcertant. Le tout propagé à grande vitesse par des bots, des robots, chargés de les disséminer par millions. « Un mensonge répété dix fois reste un mensonge, répété mille fois, il devient alors une vérité », cette phrase attribuée à Joseph Goebbels, l’un des plus implacables propagandistes de l’Histoire, résume assez bien une méthode qui a fait ses preuves. Nous tentons dans cette publication d’évaluer les risques qui peuvent en découler et les facteurs pouvant favoriser leur croissance, que ce soit au niveau sociétal, économique ou politique. [lire la suite]
Anna Constantinidis - novembre 2024
La sobriété numérique Au-delà des idées reçues Etude n°49 d'Anna ConstantinidisNovembre 2024 Introduction Avant d’écrire cet article, nous avons interrogé de manière informelle plu- sieurs personnes autour de nous (collègues, ami·e·s, participant·e·s à des ateliers Médias organisés par notre association) sur les termes ou idées qui leur venaient à l’esprit lorsqu’on évoquait l’expression « sobriété numérique ». Voici les réponses qui sont majoritairement ressorties : écolo, truc de bobo, colibri, déconnexion, tri des mails, moins de vidéos. La sobriété numérique semble passer, dans le chef de nombreuses personnes (et pour nous aussi, avant de nous intéresser davantage au sujet), pour un horizon individuel impliquant une réduction de nos usages d’internet. Et allant de pair, de facto, avec une culpabilisation, ce qui peut bien sûr être mal perçu, à tel point qu’on ne veuille même pas entendre parler du sujet. Or la sobriété numérique, dans son acception scientifique, est bien plus un horizon collectif, sociétal, qu’une démarche individuelle. Naturellement, une forme de sobriété numérique peut relever de choix personnels, que l’on pose pour des raisons d’écologie, de santé, d’hygiène de vie ; néanmoins, on verra que ceux- ci : premièrement, ne sont pas toujours adéquats (la sobriété numérique charrie avec elle de nombreuses fausses bonnes idées, souvent issues du greenwashing) ; deuxièmement, sont plus difficilement tenables s’ils sont posés de manière isolée ; troisièmement, auront peu d’impact s’ils ne sont pas soutenus par des politiques publiques qui vont dans ce sens. Cette publication a donc pour objectif, d’une part, de faire mieux connaître la réalité qui se cache derrière le concept de sobriété numérique, en évitant les écueils ; d’autre part, de proposer un plaidoyer pour un avenir sobre numérique- ment. Isabelle Autissier, présidente de WWF France, dans la préface d’un livre de Frédéric Bordage (fondateur de Green IT France et spécialiste de la sobriété numérique), explique : « Le numérique n’est ni bon ni mauvais. C’est une technologie inventée par l’humanité […]. Comme tout progrès technologique, il sera ce que les hommes en feront : le pire ou le meilleur, un terreau fertile pour nos enfants ou une fuite en avant vers une catastrophe annoncée ». Le but de la sobriété numérique, on le verra, n’est pas de remettre en question l’existence du numérique, mais au contraire d’apprendre à en tirer le meilleur tout en respectant les limites planétaires. Cette étude a été écrite pour clôturer le Cahier du Numérique de notre association, publié en novembre 2024. Dans ce cahier, nous avons analysé un certain nombre d’enjeux et de risques collectifs liés à ce que nous avons nommé la « course au tout-au-numérique » : fracture et inaccessibilités, enjeux démocratiques du numérique, problèmes de santé et de santé mentale liés à une surutilisation des écrans, impacts du développement des smartcities et de la numérisation du recrutement, impacts écologiques du numérique, surveillance et business des données personnelles. Le choix de ces sujets ne signifie pas pour autant que l’équipe Médias de Citoyenneté & Participation est technophobe ; nous avons conscience des nombreux apports positifs du numérique, mais il nous semble important de nous pencher sur ces problématiques qui touchent tous les citoyenne·s et d’interpeller nos lecteurs et lectrices sur ces sujets démocratiques de premier plan. Après avoir pointé un certain nombre de problèmes, il nous a paru pertinent de proposer, comme dernier texte de ce Cahier, un article sur les solutions possibles. Car, comme le dit Alain Damasio, « une authentique technocritique ne peut se contenter d’être réactionnaire ou négative. Elle doit aussi esquisser ce que serait une technologie positivement vécue ». C’est donc sur le seul horizon tenable car écologiquement viable, mais aussi, sans doute, le plus sain pour la société et les individus, que nous avons décidé d’écrire : l’horizon de la sobriété numérique. Dans ce parcours de (re)découverte, la première partie abordera une question simple : pourquoi la sobriété numérique est-elle souhaitable, voire in- dispensable, sur un plan environnemental ? Sera ensuite exploré, au point deux, ce qui se cache derrière celle-ci : qu’est-ce que la sobriété numérique, et quels sont les différents scénarios de sobriété possibles ? Dans la troisième partie, il sera question de la situation actuelle en Belgique, en particulier en Wallonie : la sobriété fait-elle l’objet d’une attention de la part du monde politique ? Quelles sont les forces en présence ? Le quatrième chapitre abordera quelques mesures politiques qui pourraient être mises en place pour tendre vers une forme de sobriété numérique, à différents niveaux : pour les citoyens et citoyennes, pour les entreprises, au niveau de la production, aussi. Enfin, on terminera par une ré- flexion globale sur la place des technologies numériques dans notre société et dans nos vies, et sur ce que pourrait nous apporter une société décroissante en la matière. Y seront évoquées la démarche low-tech ainsi que quelques-unes des recommandations formulées par Alain Damasio dans son dernier livre, Vallée du Silicium. Afin d’alimenter les réflexions contenues dans cette étude, trois entre- tiens ont été menés : avec Olivier Vergeynst, directeur de l’Institut Belge du Numérique Responsable (ISIT-BE), avec Louise Marée, responsable du programme DigitalWallonia4Circular de l’Agence wallonne du numérique (AdN), et avec David Bol, professeur en Circuits et Systèmes électroniques à l’École polytechnique de l’UCLouvain. Nous leur adressons ici nos remerciements les plus chaleureux pour le temps qu’ils nous ont consacré et les précieuses réponses apportées à nos questions. Notre souhait est que cette étude puisse devenir un temps d’arrêt, accessible à toutes et tous car non technique, pour prendre du recul face à un sujet extrêmement clivant où on peut entendre, en tant que citoyen·ne, tout et son contraire : comment s’y retrouver en effet entre les plaidoyers contre le tout-au-numérique et le discours ambiant qui vante les effets de la numérisation de la société ? Entre les rapports qui affirment que la situation actuelle est intenable et ceux, soutenus par l’industrie technologique et repris par certaines personnalités politiques, qui assurent que le numérique « nous sauvera » ?. Un temps d’arrêt qui est tout sauf [lire la suite]
Philippe Courteille - novembre 2024
Les dangers démocratiques du numérique Etude n°48 de Philippe Courteille Novembre 2024 Introduction Indéniablement, le numérique a ouvert de nouveaux champs des possibles et des libertés. Que ce soit pour s’informer, apprendre et découvrir, avec un accès aux sources d’informations de toute la planète, pour répondre à la plupart des questions qu’on peut se poser. Une nouvelle liberté de communiquer, de créer, de se former, de s’émerveiller, de travailler à la maison, de gagner du temps, d’être livré à domicile, de s’exprimer de diverses manières… Faut-il encore le préciser, Internet a tout révolutionné jusqu’à permettre à des peuples de se soulever en Egypte, en Tunisie ou à Hong-Kong. Mais ces nouvelles libertés sont, comme souvent, confrontées à de nouveaux excès. Ceux-ci sont dus, nous le verrons, à différents facteurs comme le fonctionnement des outils, l’impréparation de leurs propriétaires et à la soif de pouvoir et de monopole des GAFAM, BATX ou NATU , à une complexité technologique croissante, à l’expression du vice et de la malveillance contenue jusqu’ici par des lois élaborées pendant des siècles ou encore à la naïveté de divers dirigeants. Des excès désormais boostés à l’IA, à se demander si le monde n’a pas ouvert une boîte de Pandore qu’il est désormais compliqué de maîtriser, ou si, à tout le moins, nous ne mettons pas la charrue avant les bœufs dans de nombreux domaines. Ces problèmes pourraient-ils faire vaciller certains pans des démocraties ? C’est ce que nous allons voir à travers diverses problématiques qui posent désormais question et auxquelles tentent de répondre l’Union Européenne et nos gouvernements non sans mal. Car bien sûr il s’agit de réguler le web, mais de nombreux freins l’empêchent. Comment parvenir à réguler un système algorithmique dont on ne connaît pas les programmations, réalisées de surcroît, aux États-Unis ou en Chine, pays régis par des lois différentes ? Comment faire plier des géants quasi monopolistiques, détenteurs d’outils dont les populations ne peuvent plus se passer ? Comment réguler des arnaques lancées depuis des contrées antipodales, en toute impunité ? Comment empêcher les citoyens de se faire aspirer leur vie privée, via les fameuses données personnelles, malgré eux ? Comment circonscrire le déluge de mensonges, de harcèlements et de violences ? Comment faire comprendre aux citoyens que leurs réseaux sociaux, leur ordinateur, leur smartphone, leurs jeux vidéo, leur domotique, même leur montre ou leur cafetière connectée, et bientôt leur voiture et même leurs lentilles de contact ou leurs lunettes, sont autant d’espions au service du commerce et de la propagande, avec des garanties de sécurité aléatoires ? Les questions sont multiples et manquent cruellement de réponses. Nous allons tenter de les mettre en exergue et d’en comprendre différents dangers que des accords internationaux devront réguler à tout prix, dans des délais les plus courts possibles. A se demander parfois si la course au numérique n’est pas en train, mine de rien, de dépasser l’immense majorité des habitants de notre planète. Citoyens, politiques, fonctionnaires, employés de tout secteur, jeunes et autres, beaucoup pensent comprendre ce qu’il se passe et gérer la situation. Et pourtant. Un “Dêmos” démotivé et un “kratos” “craqué” Au départ, le mot démocratie nous vient du grec ancien « dêmos », c’est à dire le peuple, et « Kratos », le pouvoir. Le pouvoir au peuple, traduit par la participation citoyenne à l’élection de ses représentants. Un pouvoir par le peuple et pour le peuple. Pierre Rosanvallon écrivait sur la démocratie qu’elle était à la fois une promesse et un problème . Une promesse, dans le sens où elle ne peut jamais être satisfaisante. Et un problème, parce qu’il faut toujours trouver des réponses nouvelles pour répondre à l’idéal qu’elle incarne. Or aujourd’hui, le numérique bouscule sérieusement de nombreux pans démocratiques. Non seulement les cordons sanitaires volent en éclats, mais les propagandes mensongères attisent la haine vis-à-vis des politiques, et même des journalistes, de par le monde. Comment en est-on arrivé là ? Comment l’émotionnel a-t-il à ce point surpassé le sens du collectif et le rationnel dans les débats ? Comment peut-on faire confiance aux maîtres de la Silicon Valley - qui tentent de contourner les lois à des fins principalement mercantiles, ne paient pas leurs impôts ou font faire des travaux inhumains et mal payés à des modérateurs de contenus ou à des personnes qui cliquent sur des photos pour entraîner les IA – plutôt qu’en nos personnalités politiques démocratiquement élues et en nos journalistes censés être des gages de vérité ? Pour le comprendre, il faut d’abord pénétrer la logique de fonctionnement des géants du numérique, devenus quasi incontournables, ce qui n’est pas sans conséquences. II. Quand les GAFAM, BATX et autres NATU, imposent leur fonctionnement 2a. Ethique vs business En 1996, Sergey Brin et Larry Page, 23 et 24 ans, créent un algorithme de classement des sites internet à la logique simple : plus une page reçoit de visites, de clics, plus elle est considérée comme pertinente et bien référencée. Google est né. En 2004, Mark Zuckerberg, 20 ans à peine, et ses copains créent un réseau social sympa pour communiquer entre « amis » : Facebook. Points communs de Sergeï, Larry, Mark et leurs compères : ils sont jeunes, ils sont idéalistes, ils croient en la liberté et aux vertus du Premier amendement, le Free Speech, qui interdit de limiter la liberté de parole. Le succès de Google et de Facebook est vertigineux. Voilà notre introduction dans notre étude dédiée à la propagation des fake news sur internet . Depuis 1996, la course aux clics a vite profité aux messages provoquants et aux réactions émotionnelles, épidermiques, faisant du faux et de l’excessif des produits bien plus rentables que la vérité et la nuance. C’est le premier point de bascule, aux multiples conséquences politiques et médiatiques notamment. Au-delà de ce modèle de fonctionnement, aux innombrables conséquences absurdes, le modèle économique de ces jeunes « dans le vent », s’est très vite appuyé sur la publicité. Un système d’annonces mondialisé à la rentabilité inouïe. Selon le [lire la suite]
Roxane Lejeune - novembre 2024
Toutes et tous devant les écrans Quels effets pour la santé ? Analyse n°491 de Roxanne LejeuneNovembre 2024 Introduction Le dos et la nuque courbés, un rapetissement du cerveau, des bras en angle droit pour faciliter la prise d’un smartphone ou encore une deuxième paupière pour faire face à l’impact supposé de la lumière bleue de nos écrans sur nos yeux, telles seraient les évolutions corporelles prévues pour les humains dans mille ans, selon TollFree Forwarding, un opérateur de téléphonie . En 2012 également une projection de l’être humain du futur le dotait d’un plus petit cerveau, car compensé par les ordinateurs . L’omniprésence grandissante des écrans dans nos vies est certaine. Le nombre d’appareils connectés par foyer ne fait qu’augmenter. En Europe de l’ouest, le nombre moyen d’appareils connectés par personne était de 5.6 en 2018 et est passé à 9.4 en 2023 . Mais cette « course du tout au numérique » va-t-elle faire de nous des êtres difformes tels que le prévoient ces projections fantasques ? Probablement pas, mais ces dernières semblent mettre le doigt sur des inquiétudes et craintes partagées par nombre d’entre nous : nos écrans impacteraient notre santé. Qu’en est-il réellement ? Avons-nous des raisons de nous inquiéter des conséquences que peuvent avoir nos compagnons tactiles sur notre santé ou tombons-nous plutôt dans une panique injustifiée ? L’objectif de cette analyse sera de revenir sur différents impacts supposés des écrans sur notre santé, souvent pointés par le public de nos animations d’éducation permanente, et de les analyser. Dans un premier temps, nous nous intéresserons aux effets directs et indirects des écrans, concernant notre santé physique et mentale. Dans un deuxième temps, nous questionnerons la notion « d’addiction aux écrans » souvent mobilisée par les publics que nous rencontrons dans nos ateliers d’éducation permanente, et entendue plus largement dans les discours médiatiques et quotidiens. Enfin, dans un troisième temps, nous discuterons des éléments sociaux et économiques liés à notre consommation contemporaine des écrans et, plus largement, du numérique. I. Tous devant les écrans : quelles conséquences pour notre santé ? Myopie, cancer, obésité ou encore arthroses précoces, trouble du développement cognitif. De quoi avoir peur de nos écrans lorsqu’on s’intéresse vaguement à leurs impacts sur notre santé. Dans cette première partie, nous reviendrons brièvement sur les effets des écrans sur différents éléments de notre santé, souvent entendus dans nos ateliers d’éducation permanente. Il s’agira alors de peser le vrai du faux, le probable de la panique. Nous distinguerons les impacts directs, liés à l’appareil en tant que tel, des impacts indirects, plutôt liés aux contenus. A. Effets directs des écrans a. Lumière bleue, ennemie pour nos yeux et notre sommeil Un des premiers effets souvent pointé du doigt est le développement des troubles de la vision, qui serait en partie provoqué par la lumière bleue fortement émise par nos écrans. Bien que ceux-ci l’émettent à des niveaux moins élevés que le soleil, la lumière bleue peut en effet entraîner de la fatigue oculaire lorsque l’exposition est prolongée . Au-delà de cette fatigue oculaire, et éventuellement des migraines qui pourraient l’accompagner, il ne semble pas y avoir de consensus scientifique sur la toxicité à long terme pour nos yeux et notre vision . En effet, si certaines études tendent à montrer une nocivité pour la rétine, pouvant amener des risques de développement d’une cataracte ou de dégénérescences maculaires, d’autres recherches relativisent ces résultats et concluent que l’usage domestique des lumières LED par exemple ne semble pas toxique pour la rétine. De plus, de multiples interrogations apparaissent quant au lien entre développement de la myopie, de plus en plus répandue, et la surexposition aux écrans. De nombreux facteurs environnementaux, au-delà des risques génétiques et héréditaires existent. Parmi ceux-ci, par exemple, on retrouve la lecture fréquente et un large temps passé en intérieur exposé à une faible luminosité. Un lien entre la myopie et l’exposition aux écrans semble également apparaître. Cependant, les mécanismes à l’oeuvre n’ont pas été identifiés, et seraient davantage liés à un mode de vie sédentaire et une période importante de temps passé en intérieur, sans exposition à la lumière naturelle, que suppose souvent l’utilisation d’écrans. Par ailleurs, il est souvent rapporté que la lumière bleue naturellement émise par le soleil permet de réguler notre rythme circadien (notre rythme jour-nuit). Or, l’utilisation prolongée d’écrans émettant ces fameuses lumières bleues supprimerait la production de mélatonine, molécule sécrétée pas notre corps pour favoriser notre endormissement, amenant dès lors des perturbations du sommeil. Ici également, les études se montrent prudentes. Certaines ne montrent pas de différences importantes dans le temps d’endormissement entre une population exposée à un écran avant le coucher et une population plongée dans la lecture d’un livre . D’autres études montrent toutefois une corrélation importante entre l’exposition tardive des écrans chez les enfants (de six à seize ans) et la présence d’insomnie et d’hyperactivité. Selon certaines de ces études comme par exemple celle publiée en 2019 par dix scientifiques et médecins, tous académiciens, dans le cadre d’une mission interministérielle en France sur les rapports entre l’enfant, l’adolescent, la famille et les écrans. Il y a été observé qu’une faible production de mélatonine provoquerait une désynchronisation de l’organisme entraînant des troubles du sommeil voire une fatigue chronique, des troubles de l’humeur et même de la dépression, des troubles de l’appétit, de la performance et de la vigilance. Les chercheurs appellent « les neurophysiologistes, les psychologues et les philosophes à travailler ensemble à la compréhension des relations homme-machines, afin de poser les bases éthiques des interactions susceptibles d’enrichir le registre des expressions et des interactions humaines, et de s’opposer à celles qui contribueraient à le réduire ». Le principe de vigilance doit prévaloir et ce sans oublier que nombre de chercheurs pointent également les arguments marketing faisant de la lumière bleue un risque oculaire important en vue de vendre des lunettes de protection anti-lumière bleue. De fait, si certaines options sur les écrans d’ordinateur permettent un affichage plus confortable pour les yeux (l’affichage nocturne), et permettent [lire la suite]
Anna Constantinidis - mars 2024
Selon le biologiste Olivier Hamant 1, il est urgent que l’humain abandonne le mode de fonctionnement lié à la performance qui est aujourd’hui à la base des sociétés industrialisées, pour basculer vers celui de la robustesse. Pour lui, il s’agit, avec la coopération et la circularité, d’un des trois principes fondamentaux à l’œuvre dans le Vivant, dont l’humain devrait s’inspirer et qui peut s’expliquer comme suit : "Au cours de l’évolution ont été sélectionnées des stratégies qui permettent aux systèmes vivants d’acquérir une certaine stabilité malgré les fluctuations environnementales"2, stratégies qui se construisent justement à l’opposé de la performance : elles émergent de "la variabilité, de l’hétérogénéité, de la lenteur, des délais, des erreurs, de l’aléatoire, des redondances, des incohérences".3 Face aux crises qui se multiplient, le biologiste appelle non pas à une transition ou à une bifurcation, mais bien à une inversion : "Là-dessus, je suis assez radical. […] Et je prends souvent l’exemple du temps et de la matière : jusqu’à présent, on utilisait de la matière pour gagner du temps (on brûlait du pétrole pour prendre l’avion, des métaux pour télécharger des films via la 5G, etc.). À l’avenir, il faudra utiliser le temps pour préserver la matière. On peut faire pousser des plantes et, avec le carbone qu’elles auront fixé, fabriquer des matériaux recyclables. Quant aux ingénieurs du futur, ils devront faire l’inverse de ce qu’on fait aujourd’hui : des objets simples, réparables localement, qui favorisent l’autonomie technique des citoyens".4
Edgar Gillet - mars 2024
Néologisme forgé pour la traduction d’un essai, le terme "décroissance" désigne à la fois un concept, ainsi que le mouvement intellectuel et militant afférent. Prônant une réorientation fondamentale de nos sociétés, les deux remettent en question le modèle économique actuel, dont le fonctionnement induit de consommer davantage de ressources que ce que la planète a à offrir. Les partisans de la décroissance, les "objecteurs de croissance", rejettent la poursuite d’indicateurs économiques abstraits comme le produit intérieur brut. Ils y opposent des modèles de sociétés plus soutenables, où la prospérité ne serait plus mesurée à l’aune des biens matériels produits et consommés, mais plutôt par la qualité de vie et la préservation de l'environnement.
Roxane Lejeune - février 2024
Il n’est pas rare, depuis des décennies, d’entendre que nous vivons dans une "société consumériste", une "société de consommation", dans le siècle d’"hyperconsommatio" ou de "surconsommation". De quoi ces superlatifs et qualificatifs sont-ils le nom ? D’où viennent ces observations sur nos modes de consommation ? En quoi notre consommation contemporaine est-elle une surconsommation ? Comment nos sociétés marchandes ont-elles façonné la figure du consommateur jusqu’à aujourd’hui et au travers de quels outils ? Cette analyse propose de répondre à ces questions en faisant un bref tour d’horizon des dynamiques à l’œuvre derrière l’évolution de la figure du consommateur. Nous reviendrons également sur les leviers encourageant la consommation, comme la publicité, en étudiant notamment quelques exemples de stratégies marketing et publicitaires. Enfin, en guise de conclusion, nous nous interrogerons sur les marges de manœuvre des consommateurs dans la perspective d’une transition décroissante.
Roxane Lejeune - décembre 2023
Depuis le lancement de la première cryptomonnaie, le bitcoin, nombre d’entre elles ont vu le jour. Sous-tendue par une technologie novatrice, la blockchain, une véritable économie parallèle s’est ainsi créée. Comment comprendre le développement de ces systèmes cryptographiques et l’évolution toujours plus grandissante des crypto-investissements ? Si elles sont plébiscitées par certain·e·s et décriées par d’autres, le monde des crypto-actifs semblent pourtant attirer de plus en plus d’utilisateur·rice·s, et notamment les jeunes. Ainsi, au travers de cette analyse, nous allons tenter de comprendre les évolutions et les mécanismes de ces systèmes de crypto-actifs, et leurs manières de nous influencer et nous motiver vers l’investissement. Nous étudierons également l’encadrement belge et européen en la matière. Si l’univers impitoyable des crypto-actifs semble nous promettre un bel avenir, doit-il être appréhendé comme un nouvel eldorado financier où tout est possible, ou comme un simple mirage titillant nos fantasmes de richesse ?
Edgar Gillet - juin 2023
Numérisation du recrutement et de l’orientation Promesses et conséquences des algorithmes Analyse n°472 d'Edgard Gillet Juin 2023 Introduction La numérisation du monde s’observe à toutes les échelles de la société. Un aspect central de la vie contemporaine offre même un point de vue privilégié sur ses conséquences : le travail. Plus précisément, les champs de l’orientation et du recrutement, en se situant à l’interface entre la vie privée et le monde de l’entreprise concentrent les enjeux liés au numérique. En effet, la mise en place en entreprise de logiciels intégrés, gérant la recherche et l’embauche de nouveaux employés, automatise aujourd’hui des processus assurés autrefois par des êtres humains, pour des êtres humains. Ces nouveaux outils permettent ce faisant, un passage à l’échelle supérieure considérable. Selon le logiciel choisi, les algorithmes trient et analysent plusieurs milliers de candidats en quelques secondes. Plus loin encore, certains algorithmes dits de recrutements prédictifs, débusquent et suggèrent les candidats les plus proches des critères des employeurs, remplaçant presque les professionnels du domaine. Dès lors, dans quelle mesure ces nouveaux outils influencent-ils les pratiques en lien avec le recrutement au sein des organisations ? Quels sont leurs apports et leurs conséquences, tant pour les professionnels du recrutement, que pour les recrutés ? Et ces apports se limitent-ils à la seule entreprise ? Portés par des discours de promotion vantant leur objectivité et gains en productivité, l’origine et le choix de ces nouveaux outils soulèvent plusieurs interrogations liées au rôle de ceux-ci dans nos vies professionnelles. C’est pourquoi nous proposerons dans cette analyse, un panorama critique des outils numériques de recrutement et de formations. Pour traiter de la question, nous reviendrons d’abord aux fondements des disciplines du recrutement et de l’orientation, la manière dont elles se sont construites historiquement ainsi que les courants marquants qui les ont façonnées. On observera ce faisant, à rebours d’une idée d’outils neutres, la transposition aujourd’hui, dans les nouveaux outils numériques, de philosophies, dont les algorithmes de recrutement sont les dépositaires. Nous observerons ensuite comment le fonctionnement de ces nouveaux outils, vient, en situation s’hybrider avec les pratiques antérieures des recruteurs sans pour autant normaliser et harmoniser celles-ci. Nous verrons aussi, comment le déploiement et la maîtrise des outils numériques croisent des stratégies de présentation de soi, propres au champ du recrutement et participant de leur légitimation, et ce alors qu’ils sont porteurs de biais techniques. Nous aborderons enfin, les implications plus générales, du déploiement d’outils numériques sur la formation initiale et continue I. Aux origines de l’orientation professionnelle matching et life design : nouveaux outils, vieux modèles A. Les modèles du matching et du life design L’orientation et le recrutement dépendent aujourd’hui de modèles plus anciens, qui se sont construits historiquement et dont on retrouve la philosophie au cœur des outils actuels. Théorisé dès le début du XXe siècle le modèle dit du « matching » (modèle par correspondance, en français) s’impose à partir des années 1960 comme approche majoritaire dans le champ de l’orientation professionnelle. Promue par les conseillers en orientation, elle impulse à cette époque la prise en compte des traits individuels (centres d’intérêts, personnalités) dans la recherche et l’assignation d’un emploi à un candidat . Elle remplace ce faisant une orientation centrée auparavant sur les secteurs en tension, l’état du marché et les compétences techniques . À ces critères, le « matching » propose de superposer des données personnelles, pour correspondre à une grille de métiers compatibles. La popularisation de cette approche entraîne progressivement les futurs employés vers un choix de carrière en fonction de leurs inclinations, loisirs et affinités. Surtout, les candidats doivent désormais s’impliquer activement dans la formulation de leurs projets. À charge pour ces derniers en effet de formuler clairement leurs intérêts et penchants personnels pour trouver le métier en rapport avec leurs aspirations. Les employés deviennent donc, à l’époque, acteurs de leur propre carrière, dans le sens où ils deviennent responsables des choix en rapport et des directions que celle-ci prend. On assiste de fait à un « basculement de la responsabilité de la gestion des cheminements professionnels vers les individus […]. La mobilité des travailleurs est renforcée et elle se bâtit sur une attitude individuelle de liberté, d’autodétermination et de choix fondés sur les valeurs personnelles » . Le début des années 2000 voit par la suite, l’émergence du concept de « life design » dans le champ de la recherche en orientation. Cette approche propose alors un modèle à destination des conseillers en orientation pour soutenir les candidats dans « la structuration de leur identité narrative » , la mise en récit de leurs besoins et aspirations en lien avec le travail. Surtout, le « life design » promeut une certaine souplesse chez les candidats pour « développer les ressources nécessaires et répondre aux incertitudes inhérentes à tout parcours professionnel au XXIe siècle. » Ce tournant dans les approches de l’orientation professionnelles marque alors une responsabilisation de l’individu dans la gestion de sa carrière. En effet, se concentrer sur les caractéristiques personnelles des travailleurs, fait porter la responsabilité de sa carrière au seul individu, en mettant de côté les difficultés d’ordre structurel, comme un licenciement ou une crise économique . Il lui revient alors à lui seul de travailler sur des causes internes, afin de concrétiser son projet professionnel. Pourtant, les individus évoluent dans un environnement social, économique et politique, difficiles à séparer de leur parcours d’orientation. On parle alors de pouvoir d’action limité (« bounded agency ») : l’individu possède « une certaine autonomie et un pouvoir décisionnel, mais celui-ci s’exerce dans un environnement aux opportunités limitées » . B. Le passage au numérique dans le recrutement, Monkey Tie et l’« optimized hiring » C’est dans ce contexte, qu’on observe, à la même époque le déploiement de nouveaux outils numériques dans le champ des ressources humaines, qui, on le verra, renforcent cette individualisation des travailleurs devant leur destin professionnel. À l’instar des conseillers en orientation des années 1960, les créateurs de ces nouveaux outils sont des professionnels du recrutement et [lire la suite]
Anna Constantinidis - janvier 2023
Chaque année, l’organisation internationale Reporters sans frontières publie un Classement mondial de la liberté de la presse très médiatisé, qui compare la situation de la presse et de ses libertés dans 180 pays. Alors que la situation en Belgique y est jugée bonne depuis plusieurs années, le classement 2022 a fait reculer notre pays de plusieurs places. Au CPCP, nous utilisons souvent ce classement dans nos ateliers en éducation permanente ainsi que dans nos formations à la citoyenneté, car il constitue une base efficace pour la discussion, surtout dans les groupes multiculturels. Il nous semblait donc intéressant de nous pencher sur ce qui a été qualifié de "dégringolade" 1, afin de comprendre d’où vient ce changement et s’il est de nature à inquiéter. Comme on le verra, celui-ci est dû tant à des éléments touchant à la situation actuelle de la presse qu’à une modification de la méthodologie du classement. Après avoir rappelé quelques informations sur l’organisation Reporters sans frontières, l’analyse se penchera sur le classement en tant que tel : au-delà de l’aspect quantitatif qui frappe souvent les esprits, on s’interrogera sur sa méthodologie. Il sera ensuite question des raisons expliquant le passage de la Belgique de la onzième place en 2021 à la vingt-troisième place cette année : outre le changement de méthodologie, le classement met en lumière plusieurs éléments d’explication, que nous reprendrons synthétiquement au chapitre deux, consacré à la nouvelle position de la Belgique. Parmi ces éléments, deux aspects, qui nous paraissent fondamentaux lorsqu’il est question de liberté de la presse, seront ensuite développés de manière plus approfondie aux chapitres trois et quatre : d’une part, la problématique épineuse de la sécurité, physique et digitale, des journalistes, et d’autre part, le contexte économique et la concentration élevée des médias dans des marchés – flamand et wallon – de petite taille. Cette analyse a été enrichie grâce à des entretiens et échanges écrits avec différents acteurs du secteur : Reporters sans frontières, l’Association des Journalistes professionnels ainsi que deux professeurs universitaires en journalisme et communication : Benoît Grevisse, professeur ordinaire à l’École de communication de l’UCLouvain et responsable de l’École de journalisme de Louvain, et Geoffrey Geuens, professeur au département Médias, Culture et Communication de l’Université de Liège. Nous tenons à remercier chaleureusement tous nos interlocuteurs du temps précieux qu’ils nous ont octroyé pour répondre à nos questions.
Anna Constantinidis - septembre 2022
Une communication récente du Conseil de l’IBPT (= Institut belge des services postaux et des télécommunications) rappelle que la facture des télécommunications est généralement bien plus chère pour le Belge que pour ses voisins directs 1. La Belgique fait également office de piètre élève au niveau européen, où en 2020, Eurostat estimait que le Belge payait 69,1 % plus cher que la moyenne des autres pays de l’UE pour ses télécoms 2. Bien que l’explication de cette différence soit apparemment à chercher dans le degré de concurrence moindre en Belgique par rapport à d’autres pays 3 (voir point 1), l’impression que l’on peut avoir en tant que citoyen lambda est, elle, tout autre. Pour ne citer que l’exemple de la téléphonie mobile : qui n’a pas aperçu récemment une publicité pour une formule à plus de data, voire pour un surf illimité 4, ou des campagnes incitant à l’achat d’un GSM à prix démesurément bas à condition de s’abonner à telle ou telle formule ; quel client n’a jamais reçu, suite à un changement d’opérateur, un ou plusieurs appels lui proposant de nouvelles formules alléchantes afin de le récupérer ? Alors que les opérateurs rivalisaient par le passé (rappelons-nous, c’était il n’y a pas si longtemps que cela) sur les formules d’appels ou de SMS, la bataille se livre désormais surtout sur le champ des fameuses data (et de la vitesse), qui ne font que croître depuis quelques années : 2G, 3G, 3G+, 4G, bientôt 5G (et ensuite ?). La connectivité semble même devenue synonyme d’évolution ou de progression personnelle : il suffit de lire une formule comme "Quel produit peut vous aider à avancer ?" 5 pour prendre la mesure de cette idée… Dans ce paysage largement libéralisé où, comme dans trop d’autres secteurs, l’économie et la gestion d’un bien commun, la (télé)communication, ont échappé aux citoyens pour devenir un business comme un autre, est né il y a trois ans un nouvel opérateur qui se distingue du reste du marché par sa nature, car il s’agit d’une coopérative : Neibo. À l’aune des observations formulées plus haut, trois questions nous guideront dans la découverte de ce modèle coopératif : Qu’est-ce qu’une coopérative en téléphonie mobile et en quoi celle-ci peut-elle apporter une plus-value sociétale ? L’offre de prix de Neibo est-elle une solution viable pour tous les portefeuilles ? Enfin, ce grain nouveau qui vient s’installer dans la machine peut-il constituer un vecteur de changement dans les habitudes des citoyens en matière de télécommunications et de consommation numérique ? Cette dernière question nous amènera à nous intéresser aux valeurs défendues par le collectif européen FairTEC – auquel appartient Neibo – qui est engagé dans la recherche de solutions pour une téléphonie éthique et durable et pour un numérique plus sobre. Nous aborderons dans cette partie l’impact environnemental du numérique et verrons en quoi les coopératives de FairTEC sont vectrices de changement dans ce domaine. Nous conclurons par quelques pistes de recommandations, concernant d’une part le modèle coopératif et l’économie circulaire, d’autre part la nécessité et l’urgence de développer des politiques publiques raisonnées en matière de numérique.
Anna Constantinidis - mars 2022
Créée en 2011 par Justin Kan et Emmett Shear et rachetée en 2014 par Amazon, la plateforme américaine Twitch.tv est, à la base, le réseau social des joueurs et joueuses vidéo : une plateforme en ligne sur laquelle on peut suivre en direct des personnes qui se filment en train de jouer, tout en commentant la partie et en interagissant avec leur auditoire via une interface de discussion, ou tchat 1. Ces dernières années, et davantage encore depuis la pandémie 2, Twitch est devenu un véritable phénomène qui dépasse de loin les frontières du monde des jeux vidéo. La plateforme compte des milliers de chaînes et attire des millions de visiteurs par jour, pour la plupart des jeunes entre 16 et 34 ans 3. On y trouve désormais également, en plus des jeux, des contenus culturels, journalistiques, politiques, proposés par des streameurs, c’est-à-dire des diffuseurs de contenu, de tous horizons. De plus en plus de journalistes et de médias traditionnels s’invitent sur la plateforme, ainsi que des femmes et des hommes politiques qui tiennent des revues de presse ou des débats en ligne. Que ce soit pour élargir leur électorat, pour être présents sur un maximum de réseaux sociaux et/ou par réel souci de dialoguer avec un public plus jeune auquel ils n’auraient pas accès par ailleurs, le constat est là : le monde politique s’intéresse à Twitch. Certains, comme le député Denis Masséglia en France (LREM), voient dans cet outil une réelle chance de "favoriser la compréhension de la démocratie et de réduire l’écart entre citoyens et élus" 4. La plateforme se trouve plus que jamais au centre de nouvelles dynamiques de communication, face auxquelles il est légitime de se poser la question suivante : par son format horizontal et participatif, Twitch, en tant que média social, peut-il apporter sa pierre à l’édifice d’un renouveau démocratique ? Afin de répondre à cette question, cette analyse mettra d’abord en lumière les principales caractéristiques de Twitch et les bases de son fonctionnement économique. Les raisons du succès de la plateforme seront ensuite identifiées, sur la base de la littérature critique et journalistique ainsi que de cinq entretiens menés avec des personnes actives sur Twitch en tant que spectateurs et spectatrices 5. Dans un deuxième temps, l’attention se portera sur la revue de presse du journaliste et animateur français Samuel Étienne, "La matinée est tienne". Celle-ci est pertinente pour le sujet qui nous occupe non seulement pour la dimension d’éducation aux médias qu’elle comporte, mais aussi parce qu’elle a sans aucun doute contribué, par sa médiatisation, à la connaissance de Twitch par un public plus large 6, en tout cas dans le monde francophone. Par ailleurs, elle a peut-être également eu un rôle à jouer dans l’utilisation de Twitch par des hommes et femmes politiques suite à l’interview de François Hollande en mars 2021, largement relayée par la presse francophone 7. L’article se poursuivra par un tour d’horizon des initiatives de politiques présents sur Twitch en Fédération Wallonie-Bruxelles et des enjeux posés par ces nouvelles formes de communication politique. Enfin, il serait impossible de mener une réflexion autour de la question susmentionnée sans prendre en compte l’appartenance de Twitch au géant de l’e-commerce Amazon. Dans la dernière partie, il s’agira donc de rappeler quelques éléments sur la manière dont le business fondé par Jeff Bezos fonctionne, ainsi que l’étendue grandissante de son "empire tentaculaire" 8. Dans ce cadre sera également envisagée la problématique de la protection des données personnelles, sur laquelle il nous semble fondamental, en tant qu’ASBL d’éducation permanente, de sensibiliser le public dans le domaine de l’éducation aux médias.
Joelle Mignon - janvier 2022
À l’ère post #MeToo, le monde des médias et du journalisme n’échappe pas à la remise en question des problématiques de genre qui s’y sont cristallisées. Cette analyse a pour but de passer au crible des "lunettes genre" ce monde médiatique qui semble bien résistant à laisser plus de place aux femmes, tant devant que derrière la caméra. Les femmes représentent 51% de la population belge. Pourtant, le milieu médiatique leur fait tout sauf la part belle et leur condition de femme a tendance à les discriminer dans leur travail : elles ne forment que 35% de l’effectif journalistique en Belgique francophone.1 Le milieu médiatique est encore très empreint de sexisme, un sexisme qui se reflète dès lors dans les représentations des femmes que ces mêmes médias donnent à voir. Il s’agit bien là d’un manque de diversité dans la profession journalistique, qui octroie aux hommes la quasi exclusivité de la parole publique et ne permet qu’une représentation partielle de la réalité. Depuis la pandémie de Covid, les conditions de travail ont empiré pour les femmes journalistes. Déjà plus sujettes au cyberharcèlement que leurs confrères, le passage au tout-numérique avait constitué un obstacle de taille pour leur épanouissement au travail. Elles sont aujourd’hui aussi les plus touchées par les difficultés que le télétravail a amenées dans les foyers et par les licenciements que la crise financière a vu augmenter depuis la pandémie, leurs postes étant souvent plus précaires. Ces derniers mois, des campagnes et événements médiatiques ont mis en lumière les réalités des femmes journalistes. Le documentaire Je ne suis pas une salope, je suis une journaliste ! 2, par exemple, dépeint les conditions des journalistes sportives, tandis que #SalePute 3 des journalistes Myriam Leroy et Florence Hainaut aborde les manifestations grandissantes du cyberharcèlement. Sur une note plus positive, la campagne CharactHer 4 de la Commission européenne promeut quant à elle la présence de femmes dans les métiers de l’audiovisuel et met en lumière des trajectoires féminines dans ces métiers encore très cloisonnés, au sein desquels les femmes ne sentent pas toujours la possibilité d’évoluer. Dans la présente analyse, nous avons choisi de mettre le focus sur les médias belges francophones et la représentation des femmes dans et à travers ceux-ci. Nous tentons de mettre le doigt sur les causes et les conséquences de la faible présence des femmes dans la profession, d’appréhender les problèmes de violences et de harcèlement dont les signalements sont foison dans les rédactions, et d’énoncer des propositions concrètes pour améliorer la visibilité de toutes les femmes dans nos journaux et dans nos émissions, devant comme derrière la caméra.
Clara Van Der Steen - juin 2021
L’omniprésence des réseaux sociaux dans notre société ainsi que notre dépendance à ces derniers sont significatives de la place importante qu’ils prennent dans nos vies quotidiennes. Les activités qu’ils proposent telles que la socialisation, la communication et le relais d’information participent à leur avènement et facilitent leur accès à des publics divers et variés, leur permettant de cette manière de toucher un très grand nombre de personnes. Si les espaces offerts par les réseaux sociaux sont devenus des lieux de partage et de diffusion, il leur est également possible de devenir le terrain de protestations. Dès lors, les revendications virtuelles prennent la forme d’actions néo-militantes, entreprises par ce que le sociologue Geoffrey Pleyers nomme les « alteractivistes ». 1 De cette manière, les réseaux sociaux deviennent des espaces de contestations virtuels. Même si les données de ces plateformes virtuelles restent sous le contrôle de certaines puissances, elles peuvent également mener à des combats idéologiques et militants. L’histoire contemporaine peut désormais illustrer l’importance des réseaux sociaux dans la mobilisation militante. Certains mouvements ont vu leur essor à travers les réseaux sociaux ; en témoigne par exemple le phénomène #MeToo ayant pris une ampleur assez conséquente depuis 2017 à la suite de l’affaire Weinstein. La propagation de ces mouvements a mené à la naissance de véritables organisations militantes grâce à leur bonne diffusion sur les réseaux. La question n’a jamais été plus actuelle depuis le début de la pandémie du COVID-19 pendant laquelle, les violences et les inégalités déjà en place se sont vues exacerbées. Tandis que les rassemblements et par extension, les manifestations, ont été limités voire interdits, les actions militantes se sont transformées pour s’adapter au contexte actuel entraînant une augmentation de protestations virtuelles. Le but de cet article est d’abord d’analyser les différentes formes de militantisme prenant part sur les réseaux sociaux ainsi que leurs enjeux. Pour ce, nous réfléchirons aux manières dont les plateformes sont adaptées à la mobilisation et la mise en forme de ces mouvements sur les réseaux sociaux. Nous aborderons ensuite la question de l’efficacité de ces mobilisations mais également les dangers que cela suscite, avant de conclure sur les possibilités ainsi que les limites de ces contestations virtuelles.
Axelle Durant - juin 2021
Depuis plus de dix ans, la plateforme de vidéos en ligne YouTube a crevé le plafond de tous les records en matière de vues, de buzz mais aussi de personnes se connectant chaque jour sur son site Web. Phénomène mondial inévitable, le site internet est devenu de plus en plus puissant, influent et rapporte beaucoup d’argent. Par une exposition médiatique croissante, les youtubeurs les plus connus, c’est-à-dire ceux qui font le plus de vues, deviennent rapidement ce qu’on appelle des influenceurs. Phénomène incontournable sur le net, ils sont le nouveau credo des réseaux sociaux. S’il vous prend l’envie d’aller surfer, autant sur Instagram, Twitter ou TikTok, vous y verrez une vidéo présentant une jeune personne vous louant les avantages d’un produit de maquillage merveilleux, d’un programme informatique innovant ou du meilleur hôtel à Bangkok… Ce genre de vidéo, se présentant au premier abord comme une recommandation personnelle à propos d’un sujet lambda (ex : "J’apprends à mon chien à nager", "Je découvre le Vietnam" ou encore "Comment cuisiner les aubergines"), est en fait une nouvelle forme de marketing et de publicité. Quelles sont les techniques d’influence exploitées sur Internet ? Sont-elles différentes par leur nature des publicités diffusées via les médias classiques ? Quel impact ont ces influenceurs sur les plus jeunes, ce nouveau public ayant un accès illimité à Internet ? Quid des dérives liées à cette nouvelle forme de propagande issue du Web ? Voilà les questions auxquelles va tenter de répondre cette analyse. En plus de nous pencher sur la question de l’influence et de ses techniques, nous aborderons les tenants et aboutissants de ce nouveau métier d’influenceur sur les réseaux sociaux… Qui sont-ils ? De quoi vivent-ils ? Comment exercent-ils leur métier ? Quels sont leurs liens avec les grandes sociétés capitalistes ? Le monde des réseaux sociaux est-il aussi beau qu’il n’y paraît ? Les influences viennent-elles d’ailleurs ? Pour commencer, nous allons établir le cadre de l’influence. Nous expliciterons les définitions, les stratégies et les techniques élaborées en matière d’influence, aussi bien dans la sphère du marketing, de la publicité que dans celle des réseaux sociaux où l’influence a de plus en plus de poids. Nous nous pencherons plus précisément sur les techniques d’influence élaborées par deux auteurs : Cialdini 1 et Francart 2. Le but poursuivi dans cette partie de l’étude est de comprendre quel est le public qui est touché par l’influence ; comment ce public est touché ; par quels moyens et dans quels buts. Par la suite, nous passerons à la partie dédiée à Internet et aux réseaux sociaux. Nous aborderons l’existence de l’influence sur des plateformes telles que YouTube, Instagram ainsi que leurs impacts, aussi bien en matière de publicité, qu’en matière d’image de marque mais aussi sur l’imaginaire collectif, les représentations que peuvent se faire les jeunes… En effet, la grande majorité des jeunes de moins de 30 ans est très active sur les réseaux sociaux. Quelle peut être l’influence produite sur Internet ? Comment ces jeunes sont-ils touchés par du contenu disponible sur les plus grandes plateformes du numérique ? Nous nous poserons aussi la question de l’ampleur du phénomène des jeunes influenceurs, de leur métier, de leurs attentes, de leurs limites et de leurs liens avec les grandes marques industrielles actives. En effet, les influenceurs sont à présent le reflet des grandes marques sur les réseaux sociaux, grands gourous de communautés de fans grandissantes et prêtes à tout pour leurs idoles. Nous examinerons les différents types d’influenceurs, aussi bien en Belgique que dans le monde afin de mieux comprendre cette émergence de célébrités d’un genre nouveau et inédit. Pour aller plus loin, nous nous pencherons sur l’envers du décor du géant YouTube, plus grande plateforme d’hébergement de vidéos au monde et site Web incontournable. Nous verrons que par sa popularité, YouTube est devenu, au fil du temps, inévitable pour les influenceurs, des plus célèbres aux plus modestes. Nous examinerons les activités de certains youtubeurs, ayant un pouvoir d’influence certain sur les jeunes, parfois utilisé de manière inconsciente, mais le plus souvent en pleine connaissance de cause. De plus, nous aborderons les déboires, les faits honteux et les dérives que peuvent créer les influenceurs par leur célébrité affolante, leur besoin d’obtenir toujours plus d’abonnés et de reconnaissance. Bien que le phénomène soit très récent, il n’est reste pas moins destructeur pour certains. Nous sommes donc en droit de nous questionner sur l’influence que peuvent avoir ces individus, comment ils s’en servent et à quelles fins… Dans un troisième temps, nous nous arrêterons sur le concept de santé mentale mis en lien avec les influenceurs, leur public et l’utilisation des réseaux sociaux. En effet, comme nous le verrons, l’utilisation des réseaux sociaux peut être néfaste pour la santé mentale : en termes de bonheur, de biais cognitifs ou de psyché parfois défaillante. Nous continuerons en étudiant la question de la place de la femme sur les réseaux sociaux et de leur impact en tant que militantes. Enfin, nous aborderons les influences politiques que peuvent avoir certains influenceurs, à la botte de puissances politiques internationales ou locales.
Philippe Courteille - mai 2021
Dans un rapport sur la pauvreté publié le 7 octobre 2020, La Banque mondiale estimait déjà que, dans le monde, la pandémie de coronavirus avait précipité entre 88 et 115 millions de personnes dans l’extrême pauvreté 1. Ajoutant cette phrase sans appel : "La réduction de la pauvreté a subi son pire revers depuis des décennies, après près d’un quart de siècle de déclin constant de l’extrême pauvreté dans le monde". Côté belge, 18 % de la population vivait en risque de pauvreté avant la pandémie et, selon la Secrétaire générale de la Fédération des services sociaux, Céline Nieuwenhuis, ce chiffre serait monté à 20 % en octobre dernier 2. En janvier 2021, Statbel, le service belge de statistiques, annonçait : "un Belge sur quatre ne peut pas faire face à une dépense imprévue" 3. "En avril 2020, le service public wallon avait lancé le 1718, numéro vert urgence sociale, pour aider les personnes les plus démunies face à la crise. Il travaille en partenariat avec le RWLP, le Réseau wallon de Lutte contre la Pauvreté, qui gère les situations les plus complexes. En octobre, le RWLP prenait en charge en moyenne 3,5 situations par jour. En novembre, cette moyenne est passée à dix et en décembre, elle est passée à 18" 4. Une précarisation qui risque bien de s’inscrire dans la durée, bien au-delà de la pandémie, au vu de la multiplication des endettements. Et puis le SARS-CoV-2 pourrait ne pas être le dernier virus inconnu. Car, comme nous le précisait Éric Muraille, maître de recherches au FRS-FNRS (Fonds de la recherche scientifique) : "Il faudra s’attendre à d’autres pandémies. On découvre de plus en plus de virus animaux dont on a favorisé la transmission d’animal à humain, notamment à cause de la déforestation (…) Et leur propagation est largement favorisée par le transport aérien" 5. Frédéric Adnet, chef de service des urgences de l’hôpital Avicenne, d’ajouter : "On pense aussi que les pluies, les inondations et le réchauffement climatique, pourraient jouer un rôle dans la diffusion de ces nouvelles épidémies" 6. Nous devons donc tirer les leçons de cette crise pour gérer au mieux la prochaine. Car des paradoxes ont été mis au jour. Notamment le fait que si l’augmentation de cas de COVID-19 entraîne à l’évidence une augmentation de la pauvreté, on constate également que la pauvreté augmente les risques de propagation du virus. 7 Dès lors nous allons tenter de voir à quel point il serait contreproductif de vouloir lutter contre les épidémies sans lutter efficacement contre la précarité. Et si la crise du coronavirus a augmenté la précarité, elle a aussi amené à des confinements sans précédent. Le 28 mars 2020, plus de trois milliards d’humains restaient chez eux. Du jamais vu. Pour combler l’isolement, les médias ont été quasi les seuls moyens de communication. Leurs audiences ont explosé, que ce soient pour la télévision, les réseaux sociaux, les jeux vidéos, les plateformes de streaming, la radio, la presse écrite, les sites Internet... S’informer, garder le contact, travailler, buller, jouer, s’exprimer, rire… nombreuses étaient les raisons de passer du temps devant un écran. Mais si Internet était au départ un outil de loisirs, il est en train de devenir l’outil de solution à tous les problèmes administratifs, économiques, professionnels, éducatifs ou autres. En période de confinement, notre quotidien, voire notre vie, ont semblé dépendre irrémédiablement d’un pc ou d’un smartphone. Nos décideurs semblent même avoir trouvé la panacée dans ces outils. Mais les plus fragiles d’entre nous, qu’ils soient précarisés et/ou âgés, ont-ils pu suivre ? Quel est leur rapport au numérique ? Et nos gouvernants, en nous imaginant tous connectés, ne se déconnectent-ils pas toujours plus des réalités sociales d’une partie désormais croissante du pays ? Face à ce constat, notre analyse tente de comprendre de quelle manière les plus fragiles d’entre nous ont traversé cette crise à travers deux questions : les solutions numériques proposées ont-elles réellement répondu à leurs besoins parmi les plus essentiels ? les différents médias ont-ils pu les aider à s’informer correctement ?
Axelle Durant - septembre 2020
En cette période anxiogène et exceptionnelle qu’est la pandémie du coronavirus, la grande majorité de la population est dans l’attente, l’interrogation et la crainte vis-à-vis du confinement, de la distanciation sociale, de la propagation de la maladie, de l’avenir des secteurs économique, social et médical… Ce sentiment d’insécurité entraîne un foisonnement de fake-news, de désinformations et de théories du complot en tous genres. Certaines de ces théories du complot verraient l’introduction de la 5G dans notre pays comme le déclencheur de la pandémie ou le coronavirus comme une maladie créée de toutes pièces ou une machination venue du gouvernement chinois pour affaiblir les pays occidentaux dans la construction de l’économie mondiale… Le développement de ces théories du complot en cette période spéciale est dû, en grande partie, à une communication manquant de clarté, et exprimant certains doutes de la part des autorités fédérales. Ces mêmes autorités paraissent désolidarisées dans leurs différents niveaux de pouvoir, par les contradictions et incompréhensions apparues lors des premiers instants de la gestion de la crise sanitaire du Covid-19.1 Néanmoins, comment expliquer l’évolution de théories complotistes au sein de la population mondiale en cette phase de confinement, de risque sanitaire et de péril mondial ? Quelles sont ces théories du complot ? Comment expliquer leur création et leur expansion ? Certains hommes politiques connus à l’échelle internationale sont friands de ce genre de théories du complot, tel que Donald Trump. Quelles sont les répercussions de l’utilisation politique de ce genre de théorie au niveau international ?
Axelle Durant - juillet 2020
En cette période spéciale de quarantaine liée à la pandémie du Coronavirus, la population se tourne plus que d’habitude vers les services proposés grâce aux nouvelles technologies. Que ce soit pour continuer à travailler à distance grâce au télétravail, pour commander ses courses en ligne pour éviter de croiser trop de monde dans les magasins alimentaires restés ouverts, pour se faire livrer une pizza via une application sur son smartphone ou pour profiter d’une soirée devant un film ou un épisode d’une série issus d’une plateforme spécialisée. En 2020, ces nouvelles technologies sont devenues indispensables dans tous les secteurs de la vie et du travail. Cette analyse va tout d’abord baliser la question au travers de quelques interrogations : que sont les nouvelles technologies ? En quoi ont-elles révolutionné la vie de près de deux tiers de l’humanité ? Entre individualisme et sociabilité, comment ont-elles changé la face du monde depuis plus de deux décennies ? Quels en sont les avantages et les inconvénients ?… Ensuite, le cœur de la publication se consacrera à l’éducation. En quoi les nouvelles technologies peuvent-elles être bénéfiques pour l’apprentissage, la pédagogie ou le développement des élèves du secondaire ou étudiants supérieurs ? Sont-elles toujours bénéfiques ? N’y a-t-il aucun danger lors de leur utilisation pour les adolescents ? Les nouvelles technologies sont-elles vraiment nécessaires dans une salle de classe ? Cet article va tenter de répondre à ces nombreuses questions, en se focalisant sur les adolescents et jeunes adultes.
Karin Dubois - mai 2020
Smartphone, console de jeux, télévision, ordinateur, tablette, etc. Aujourd’hui, quel que soit son milieu social, l’enfant grandit dans un environnement médiatique et numérique. Et ce milieu n’est pas sans conséquences sur le développement des enfants, des ados et le bien-être des familles. D’autant plus que ces outils ont évolué depuis une dizaine d’années ; leur format est plus attractif et il est donc plus difficile de contrôler leur interruption. Hormis la télévision, ils sont tous portables et donc utilisables à tout moment et pendant un temps indéterminé. La prolifération de programmes destinés aux enfants abonde d’arguments éducatifs. Et la multiplication d’écrans fait que nous ne regardons plus un seul écran en famille. Aujourd’hui, les membres les consomment de manière isolée. Du coup, le contrôle parental est devenu bien plus difficile. À présent, la consommation d’écrans par les enfants et les ados est donc un thème devenu récurrent au sein de nos ateliers en éducation permanente. Face à l’ampleur du phénomène, il nous a semblé utile de rassembler les témoignages des mamans et des grand-mères avec qui nous avons échangé, de faire entendre leur voix, leurs préoccupations et leur désarroi. Il y a beaucoup à dire sur ce thème. D’ailleurs le nombre d’études scientifiques sur le sujet a explosé depuis quelques années. Nous nous concentrerons ici sur l’impact des écrans sur l’apprentissage des enfants sous diverses formes ; l’apprentissage scolaire, mais aussi des codes sociaux et familiaux. Et nous aborderons quelques effets sur leur santé physique et psychique. Nous ne parlerons donc pas ici du rapport entre les adolescents et les écrans qui mériterait une publication à part entière puisqu’en grandissant, les outils de communication se multiplient et confrontent nos plus grands à de nouvelles problématiques générées par Internet et les réseaux sociaux. Nous n’aborderons pas l’utilisation des écrans par les adultes. Et nous n’approcherons que partiellement les phénomènes d’addiction qui ont été traités par Marine Streel dans son analyse intitulée Surexposition aux écrans : une nouvelle addiction juvénile 1. Concentrons-nous sur les enfants puisque de toute façon c’est à ce stade que tout se joue, puisque le temps qu’ils passent devant un écran aura de toute manière un impact sur leur vie d’adolescent. Pourquoi ont-ils un écran en main ? Quels dégâts constate-t-on sur leur comportement ? Quels conseils peut-on dégager ? Quels sont les outils à notre disposition ? Quels sont ceux à développer ? Ce sont autant de questions que nous tentons d’aborder dans cette publication.
Philippe Courteille - avril 2020
En 1996, Sergey Brin et Larry Page, 23 et 24 ans, créent un algorithme de classement des sites internet à la logique simple : plus une page reçoit de visites, plus elle est considérée comme pertinente et bien référencée. Google est né. En 2004, Marck Zuckerberg, 20 ans à peine, et ses copains créent un réseau social sympa pour communiquer entre "amis" : Facebook. Points communs de Sergeï, Larry, Mark et leurs compères : ils sont jeunes, ils sont idéalistes, ils croient en la liberté et aux vertus du Premier amendement 1, le Free Speech, qui interdit de limiter la liberté de parole. Le succès de Google et de Facebook est vertigineux. Début 2019 Facebook comptait 2,7 milliards d’utilisateurs 2 quand, de son côté, Google comptabilisait la même année 80 000 requêtes chaque seconde, soit 6,9 milliards par jour 3. Mais sans le savoir ces jeunes idéalistes ont créé un nouveau territoire inespéré pour les pirates et les chasseurs de trésor de tous bords, ainsi que pour les charlatans et affabulateurs empêchés de s’exprimer dans leurs contrées. Le succès des discours biaisés, dévoyés, intéressés voire radicaux va amener les citoyens à douter de tout ou de rien, et conduire à des campagnes électorales nauséabondes aux quatre coins de la planète. Un aspect dont peu de citoyens et de politiques avaient pris la mesure. Parmi les informations partagées sur les réseaux sociaux, parfois de manière quasi frénétique, des fake-news circulent et défient le travail journalistique mais aussi l’économie, la politique, les sciences. Par plaisir, par imprudence, par défi… les raisons de leur succès sont multiples. En tant que journaliste depuis 23 ans, le phénomène nous a quelque peu interpellés. En quête de vérité et d’honnêteté intellectuelle pour leurs articles, les journalistes sont obligés de constater la baisse d’intérêt pour leurs publications et le succès des fausses informations sur les réseaux sociaux. Plus étonnant encore, la presse est accusée de mensonge et de collusion avec les pouvoirs publics et privés. Côté politique, les populistes rivalisent d’imagination pour sortir les photos et vidéos de leur contexte, apporter des solutions simplistes à des problèmes complexes, décrédibiliser les partis traditionnels et les institutions, accuser l’étranger de toutes les infamies… mais surtout occuper le terrain des réseaux sociaux et jouer avec les fake-news. Les scientifiques se retrouvent à devoir convaincre que l’Homme a marché sur la lune voire même que la terre n’est pas plate. Mais internet serait-il, à lui seul, responsable de cet état des choses ? Et les fake-news constitueraient-elles un danger pour notre démocratie ? Ce sont les questions essentielles auxquelles nous avons tenté de répondre dans cette étude.
Clara Van Der Steen - mars 2020
En ces périodes troubles, parmi les nombreux impacts qu’a causés la pandémie, une baisse de pollution a pu être observée dans les pays touchés par le coronavirus. S’il est vrai qu’on remarque une diminution de la circulation des véhicules à moteur et une mise à l’arrêt d’une partie des manufactures et usines, la pollution liée au numérique quant à elle, semble en augmentation. En effet, le confinement pousse les individus vers des divertissements facilement accessibles depuis leur lieu de résidence : les plateformes de vidéos en ligne sont par conséquent surutilisées, provoquant l’accroissement de consommation numérique. Toutefois, les stratégies commerciales entreprises par les multinationales détentrices de ces plateformes vidéos ne se sont pas développées en raison de la pandémie et du confinement ; le visionnage de vidéos en ligne est une habitude déjà bien ancrée chez les internautes. Parmi les géants de la vidéo, une multinationale en particulier s’est forgé une solide réputation. L’entreprise Netflix, assurant la distribution et la production d’œuvres cinématographiques et visuelles, est parvenue à fidéliser un vaste public ; de fait, son chiffre d’affaire s’élève à 15,8 milliards de dollars en 2018. Les nouvelles façons de visionner les contenus audio-visuels contribuent sans doute à rendre ce genre de plateforme populaire. Comment une plateforme telle que Netflix s’est-elle développée ? Quelles ont été les dispositions mises en place par l’entreprise qui lui ont valu une telle réussite ? Cet article répond à ces questions en donnant à voir la pensée néolibérale mise à l’œuvre. Par la suite, nous ferons le point sur un problème majeur, à savoir l’impact environnemental, survenant suite à cette consommation excessive de vidéos et sur la manière dont cette problématique est gérée au sein de la société.
Marine Streel - août 2019
Le cyberharcèlement est une forme de harcèlement en pleine expansion, devenu le type de violence le plus courant dans le milieu scolaire. Allant de la moquerie à l’usurpation de l’identité, le cyberharcèlement comprend une large gamme de comportements persécuteurs. Les innombrables possibilités d’action sur Internet et l’omniprésence des technologies chez les jeunes ont fait émerger de nouvelles déviances telles que la violence et le harcèlement en ligne. 1 L’ampleur du cyberharcèlement provient d’une part des caractéristiques du harcèlement classique mais aussi des spécificités liées au net. De ce fait, tout comme le harcèlement classique, l’auteur de cyberharcèlement agit selon l’intention de nuire, répète ses comportements dans le temps et entretient une relation de pouvoir avec sa victime. 2 De plus, l’impact du cyberharcèlement est renforcé par les limites inexistantes en termes d’espace et de temps, ce qui fait de la victime une cible potentielle de cyberharcèlement 24h/24. 3 La barrière électronique entre l’auteur et sa victime permet à l’auteur de rester anonyme dans certaines situations et de ne pas percevoir la réaction de la victime, ce qui favorise la répétition du cyberharcèlement. De plus, cette forme de violence passe par le biais des téléphones portables, de chats, de forums, de jeux en ligne, de courriers électroniques ou de réseaux sociaux, ce qui entraîne un large panel de violences numériques. Cette analyse a été conçue à la suite de l’analyse théorique Le cyberharcèlement 4 et a comme objectif de rassembler les propositions de prise en charge liées au cyberharcèlement. Il n’existe actuellement pas de consensus sur la manière la plus efficace d’intervenir face au cyberharcèlement. Cependant, des chercheurs ont proposé des balises et points de repère pour la prévention et l’intervention au sein même des enceintes de l’école et pour les parents concernés. Cette analyse a donc été élaborée selon une visée informative et regroupe les différents champs d’action et leurs acteurs pour contrer le cyberharcèlement. La première partie se centre principalement sur les programmes de prévention tandis que la deuxième partie fait davantage référence aux pistes de prise en charge concrètes intégrant les intervenants du monde éducatif et des acteurs extérieurs.
Marine Streel - juillet 2019
"Suite à du harcèlement sur Internet, Ryan se suicide à l’âge de 14 ans. Le jeune homme souffrait de difficultés d’expression et de mouvement, ainsi que de difficultés scolaires. Un groupe de camarades d’école l’avait pris pour cible de moqueries durant plus de trois ans au point qu’il avait souhaité quitter son école. Il avait cependant refusé que ses parents avertissent la direction de l’école de peur des représailles de ses agresseurs. Dans cette affaire, plusieurs étapes se succédèrent avec une première phase de harcèlement, suivie d’une pseudo-réconciliation pour lui soutirer des informations. Son harceleur fit ensuite courir sur le net la rumeur que Ryan était gay et lui avait fait des avances. Durant l’été, Ryan entretenu une relation par internet avec une fille de son école pour contrer les rumeurs d’une éventuelle homosexualité. À la rentrée, lorsqu’il approcha sa petite amie, elle se moqua de lui et l’humilia publiquement. Il ne s’agissait que d’un leurre, pour le ridiculiser. Elle diffusa le contenu de leurs messages sur le net, aux autres élèves de l’école. Suite à cette affaire, les lois du Vermont ont été modifiées pour prévenir ce genre de phénomène dans les écoles." 1 Ce récit d’un cas de harcèlement en ligne illustre les conséquences dramatiques que peuvent provoquer moqueries et humiliations à répétition envers un individu. Le harcèlement scolaire 2 existe depuis toujours, mais, ces dernières années, une nouvelle forme de maltraitance a vu le jour : le cyberharcèlement. L’évolution du numérique – et l’omniprésence des supports technologiques – ont profondément modifié les rapports sociaux entre les adolescents. Les réseaux sociaux ont facilité le processus de socialisation, le développement identitaire et l’ouverture à la diversité. La jeune génération dispose de lieux virtuels (Facebook, Instagram, etc.) lui permettant de partager des photos, vidéos et écrits sur des moments de vie intimes et quotidiens et de les diffuser à l’échelon mondial. Cependant, l’utilisation du net et particulièrement des réseaux sociaux comporte des dérives et dangers importants tels que certaines formes de violence à l’origine du harcèlement chez les jeunes. Les comportements à risque sur le net se multiplient et demeurent encore largement tabous et impunis, en raison d’un faible contrôle et d’une éducation aux médias encore peu développée. 3 Cette analyse a pour objectif de mettre en exergue l’ampleur de la problématique du cyberharcèlement chez les adolescents en proposant un premier volet d’ancrage sur le harcèlement classique. La deuxième partie rassemble les connaissances actuelles et générales du cyberharcèlement dont l’objectif est de saisir les similitudes et différences avec le harcèlement classique. Une seconde analyse sera dédiée au volet pratique concernant des démarches de prévention et d’intervention mises en place au sein des écoles qui permettent de lutter contre le cyberharcèlement.
Helene de Wasseige - juin 2019
Chaque jour, ce sont plus de 2,5 quintillions (1030) d’octets de données numériques qui sont générés, toutes plateformes confondues.1 Ce chiffre vertigineux ne risque pas de décroître avec l’essor des réseaux sociaux, des objets connectés, des applications de réalité virtuelle et des milliards de smartphones en circulation. Consciemment ou non, nous laissons dans notre sillage des traces numériques constitutives de notre identité et qui forment ce que l’on appelle notre double virtuel. Ces datas sont une source d’information précieuse pour les entreprises puisqu’elles leur permettent de mieux cerner nos goûts et nos intérêts. Mais comment parvenir à organiser, croiser et analyser cette gigantesque masse d’informations ? Grâce, notamment, aux algorithmes. "Algorithme", ce terme laisse songeur. Il réveille en nous de vieux souvenirs mathématiques profondément enfouis sans que l’on sache précisément ce qui se cache sous ce terme quelque peu nébuleux. Pourtant, si l’on s’en tient à la définition proposée par Serge Abiteboul, directeur à l’Institut national de Recherche en Informatique et en Automatique (INRIA), il s’agit simplement d’une suite d’instructions utilisée pour résoudre un problème.2 En s’y référant, cela signifie qu’en réalisant une recette, en nous habillant le matin ou encore un montant un meuble, on opère des algorithmes. Imaginez-vous monter un bureau IKEA en exécutant directement la quatrième étape de votre mode d’emploi, le résultat risque d’être peu probant et vous comprendrez rapidement qu’il vaut mieux procéder aux étapes dans l’ordre. Alors quelles sont les réalités que renferme cette notion d’algorithme ? Les algorithmes s’immiscent et régulent de plus en plus notre quotidien sans que nous en ayons toujours conscience.3 Que ce soit à travers les informations présentes dans notre fil d’actualité Facebook, le traitement d’une demande de prêt ou d’assurance, les recommandations Netflix ou encore les tarifs d’Uber, tous dépendent du résultat de systèmes algorithmiques. En août 2018, le journal belge L’Écho titrait "la police va prévoir la criminalité grâce à des algorithmes".4 Sur la base d’un grand nombre de données disponibles, des algorithmes vont être développés pour mettre en place un système de police prédictive. Ce système, déjà en vigueur aux Pays-Bas, permet notamment de mieux estimer les zones et les heures où les cambriolages sont les plus fréquents. S’il est vrai que les algorithmes offrent un nouveau champ des possibles grâce à l’exploitation d’une grande masse de données, ils sont également synonymes de nombreux défis et craintes. En effet, depuis quelques années, des inquiétudes naissent quant à leur utilisation. Des titres à la une, comme celui de l’hebdomadaire Le point "Ces algorithmes qui nous gouvernent"5, illustrent cette anxiété et nourrissent un mythe autour des algorithmes qui prêtent à croire que ceux-ci ont des intentions néfastes. Pourtant, il est essentiel de garder à l’esprit qu’ils ne sont que des outils techniques. Les problèmes et les aspects éthiques qui en découlent ne dépendent eux que de l’emploi qui en est fait ou des biais introduits par les concepteurs. Les algorithmes ont des effets concrets sur nos actions et sur les formes de sociétés que nous construisons. Pour cesser de les subir, il faut davantage les comprendre. À travers cette analyse, il s’agira de définir ce que sont les algorithmes et les différents concepts qui y sont liés. Ensuite, nous nous attellerons à déterminer les objectifs que les algorithmes du web poursuivent en se référant à la typologie proposée par le sociologue Dominique Cardon. Pour terminer, nous nous interrogerons sur les aspects éthiques liés à l’utilisation de ces robots calculateurs et nous conclurons en proposant quelques pistes susceptibles d’améliorer une coexistence entre algorithmes et éthique.
Marine Streel - novembre 2018
Quel parent ne s’est pas interrogé sur l’âge idéal de la première console de jeux ou du premier téléphone mobile ? L’innovation incessante des supports numériques a provoqué des changements considérables dans les styles de vie des individus et particulièrement chez les jeunes. L’utilisation des engins technologiques a pris une place importante dans le temps libre des enfants et adolescents, débouchant parfois sur un usage excessif. Cette analyse a pour objectif de faire le point sur les bouleversements et impacts que cet usage massif des écrans, considéré parfois comme une addiction, provoque sur le développement et le bien-être du jeune.
Stephanie Ghuysen - octobre 2018
"Vous prendriez bien un petit cookie, n’est-ce pas ?" Soyons francs, qui parmi nous peut refuser des "petits paquets d’informations" invisibles, inodores, incolores et impalpables ? "Pardon ? Au chocolat et pépites de noix de pécan, vous voulez dire ?" S’ils ne satisfont malheureusement pas nos papilles gustatives, la plupart d’entre nous les acceptons presque machinalement, sans nous poser de questions. Cela est d’autant plus vrai depuis l’entrée en vigueur de la nouvelle loi européenne sur la protection de la vie privée des internautes : le Règlement général sur la Protection des Données (RGPD). Hélas oui… Vous l’aurez compris. Ce n’est pas de la sucrerie populaire dont nous traiterons dans cette analyse mais bien… des cookies informatiques ! Omniprésents dans notre quotidien virtuel, il semblerait pourtant que nous les méconnaissions. Alors que nous raffolons de la gourmandise du même nom, le cookie informatique n’a de son côté pas bonne presse. Sans même trop savoir de quoi il s’agit, nous lui accolons une image négative. Il semblerait pourtant que ce jugement ne recouvre qu’une facette de sa "personnalité". Ce petit traceur n’aurait pas que de mauvais attributs, voire constituerait un confort indispensable pour l’internaute surfant sur la toile. Espions et mouchards pour certains, facilitateurs et nécessaires à la navigation sur le Net pour d’autres, qu’en est-il réellement ?
Citoyenneté & Participation - août 2018
"Les youtubeurs scientifiques, nouvelles stars du Web"1, "Dr Nozman, le vulgarisateur aux deux millions d’abonnés "2, « 300 Youtubeurs se professionnalisent trois jours durant à Bozar »3. Entre starification et conférences à guichet fermé des vidéastes à succès, stages pour ados ou formations sur le métier de youtubeur, les chaînes YouTube sont aujourd’hui un véritable phénomène de société. Outre les tutoriels et vidéos humoristiques, une part non négligeable des vidéos en ligne est consacrée à la vulgarisation : science, histoire, culture générale, philosophie ou encore mathématiques sont ainsi décortiquées et mises à disposition de tout un chacun. Au vu de ce succès, il n’aura pas fallu attendre longtemps pour voir débarquer les médias traditionnels sur la plateforme. Citons par exemple la chaîne L’Esprit Sorcier, héritière de la célèbre émission de vulgarisation C’est pas Sorcier, ou encore celle du Monde, qui propose de courtes vidéos pour mieux comprendre les faits d’actualité. Les vidéastes ne sont par ailleurs pas en reste : livres, bandes dessinées ou conférences de vulgarisation sont autant de produits dérivés qui démontrent que YouTube transcende bel et bien les frontières entre médias. On constate en outre l’essor d’autres initiatives visant à diffuser les savoirs, comme par exemple les conférences TEDx ou le concours Ma thèse en 180 secondes. Comment expliquer ce renouveau de la communication scientifique ? Comment comprendre le succès de ces chaînes de vulgarisation ? Face à la déferlante de vidéos en ligne, comment faire le tri entre contenus pertinents pour un usage éducatif et vidéos racoleuses ? Pour répondre à ces questions, cette publication s’intéresse tout d’abord à ce qu’on entend par "vulgarisation". Afin d’expliquer en quoi le phénomène YouTube constitue un tournant dans cette activité, un bref détour par l’histoire s’impose pour comprendre son évolution, du siècle des Lumières jusqu’à aujourd’hui. Au vu de l’essor actuel des chaînes de vulgarisation sur YouTube, nous nous pencherons ensuite sur les spécificités de ce "nouveau" support, qui le distinguent des autres médias plus traditionnels. Face à la grande variété des contenus proposés, il convient toutefois d’adopter quelques précautions dans la sélection et l’utilisation de ces vidéos. Soulignons enfin que cette analyse n’a nullement l’intention de faire l’apologie d’une plateforme en particulier. Il s’agit plutôt de comprendre, à travers l’exemple de YouTube, comment un support de diffusion pédagogique des savoirs peut refléter le rapport de la société aux connaissances. Bien que YouTube reste à l’heure actuelle inégalée en termes de popularité, de nombre d’utilisateurs ou de chiffre d’affaires, il existe bien d’autres plateformes en ligne qui regroupent des vidéos éducatives de qualité (voir rubrique "Pour aller plus loin… ").