C’est une réalité qui ne fait que s’aggraver au fil du temps : les besoins en eau, alimentation, logement, habillement, énergie ne sont plus fournis à un coût raisonnable à une majorité de la population. La question de l’accès aux ressources pour tous se pose de manière prégnante depuis quelques décennies, ressources qui disparaissent sous le poids de l’activité économique et de la croissance démographique et dont les prix flambent dès que le secteur pétrolier éternue.
C’est dans ce contexte que nait le mouvement Transition initié par Rob Hopkins, qui rassemble aujourd’hui des citoyens à travers 50 pays. Leur crédo ? Imaginer un monde sans pétrole, s’engager collectivement pour économiser les ressources, pour bâtir de la résilience afin de faire face aux chocs, pour créer et faire vivre des projets utiles comme les repair’cafés, des ateliers de prêts et de réparation de vélo, des échanges de services locaux, etc.
Ces bâtisseurs de résilience sont des personnes jouissant d’un bon niveau d’éducation, de moyens financiers suffisants et de temps pour changer leurs habitudes, notamment en ce qui concerne la consommation. À de rares exemptions près, ils n’ont rien en commun avec les personnes précarisées qui ne partagent pas la même réalité. Ils ne se rencontrent pas. Dounia Tadli, ex-chercheuse au CPCP, a d’ailleurs écrit une analyse1 sur le sujet qui nous révèle que les personnes impliquées dans des initiatives de transition le font certes en guise de protestation mais aussi, pour certains, pour se démarquer socialement et construire une identité bien distincte du reste des citoyens. On reste dans l’entre soi. On reste entre personnes instruites, attachées aux mêmes valeurs, à la démocratie participative, à la culture. L’obstacle serait donc avant tout culturel, linguistique et relationnel !
En conséquence, le public marginalisé, précarisé qui devrait être parmi les bénéficiaires des initiatives porteuses sur le plan économique, social mais aussi sanitaire est complétement exclu, à nouveau. Mais alors… ce mariage entre les initiatives citoyennes et les personnes en situation précaire est-il impossible ?
Pour la chercheuse Lotte Damhuis2, la réponse est claire, le mariage ne peut avoir lieu puisqu’il reproduit les inégalités de la société. Les personnes pauvres ne s’y sentent pas à l’aise (fracture numérique, divergences d’intérêt, coût des activités).
Alors on arrête là ? tant pis ? C’est regrettable mais créons un réseau Transition Bis pour les pauvres ? pour les isolés ? pour tous ceux qui vivent sur le fil du rasoir ?
Est-ce qu’on ne prendrait pas toutefois le risque de tenter l’expérience ?
Nous avons donc contacté le réseau Transition pour lui faire part de nos constats et voir dans quelle mesure ce réseau serait intéressé par l’inclusion des personnes en difficulté dans leurs projets locaux. Et notre démarche a été favorablement accueillie d’autant plus que cette question commençait à prendre de la place au sein de leurs débats.
Une première enquête a donc été menée au sein du réseau Transition pour mieux percevoir leurs besoins, leurs opinions face à l’inclusion des plus précaires, les problèmes qu’ils identifient, les solutions qu’ils préconisent. Toutes les réponses qui nous ont été fournies nous ont permis d’envisager une seconde étape ; la réalisation d’une enquête de terrain auprès des personnes vulnérables. Connaissent-ils l’existence d’initiatives citoyennes ? quelles sont les actions auxquelles ils seraient susceptibles de participer ? à quelles conditions ? quels sont leurs freins ? comment les toucher ? les informer ? quelles sont leurs propositions ?
L’enquête est actuellement en cours en Wallonie et à Bruxelles. Est-il vraiment utile de préciser que la tâche est plus ardue en raison des mesures sanitaires ? Mais nous restons optimistes et résolus à faire le lien entre ces mondes qui ne se croisent pas suffisamment, celui des personnes désintégrées socialement et celui des personnes qui œuvrent à un monde plus vert. Pourtant, comme l’affirmait une confédération paysanne du Limousin : « l’écologie sans lutte des classes, c’est du jardinage ! »
Est-ce qu’on a raison de s’accrocher à l’idée d’inclusion au sein des activités citoyennes ? On ne le sait pas encore. Il est probable que l’enquête que nous menons actuellement n’aboutisse à aucun résultat probant et que la mariée se montre trop timide ou insuffisamment séduite pour se présenter à la maison communale. Ce qui nous anime pour l’instant est que parmi les facteurs qui jouent un rôle important dans la santé, il y a l’intégration sociale. L’absence de liens pèse sur les risques de mortalité précoce. Et s’il y a bien un effet commun à toutes les initiatives citoyennes qui se mettent en place régulièrement, c’est bien la création de liens sociaux. À nous de voir si ces liens peuvent s’élargir pour intégrer des cultures différentes.
Alors, affaire à suivre…
*La citation originale est de Chico Mendes, défenseur de l’Amazonie : L’environnementalisme sans lutte des classes, c’est du jardinage !
1 Dounia TADLI, Transition et simplicité volontaire, une solution pour ceux qui n’ont pas d’option ?, Bruxelles, 2018, en ligne : transition_simplicite_volontaire.pdf (cpcp.be)
2 La Démocratie au service de l’assiette pour tous. Comment assurer collectivement une transition vers des systèmes alimentaires justes et durables au niveau (supra) local ? Intervention de Lotte Damhuis, FdSS 19 Février 2019 , Séminaire RAWAD_19fév19_lotteDamhuis.pdf
Un article de Karin Dubois, Responsable thématique Consommation durable - dubois@cpcp.be
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