Analyse n°480 de Olivier Lanotte - novembre 2023
Aujourd’hui, Romane est devenue adulte. Ou peut-être hier, je ne sais pas. Son téléphone n’a cessé de sonner et de biper pendant toute la journée. Quand ce n’était pas un coup de fil ou un message WhatsApp, c’était une story postée sur Instagram par une "pote" espagnole rencontrée lors d’un séjour linguistique. Dix-huit ans, déjà ! Avec tout ce que cela comporte de droits… et d’obligations.
Analyse n°479 de Emma Raucent - octobre 2023
Le présent article donne une suite à une première analyse critique sur le projet de loi introduisant dans le Code pénal la peine d’interdiction de manifester. Pour rappel, le ministre de la Justice, Vincent Van Quickenborne (Open Vld), entend "punir les fauteurs de troubles" pour des infractions commises à l’occasion d’une manifestation en interdisant temporairement à ces personnes l’accès à toute manifestation future sur le territoire national. Seuls les délinquants ayant commis un certain type d’infraction lors d’une manifestation (posant un risque de trouble grave à l’ordre public) et présentant un risque de récidive seront susceptibles de se voir infliger une telle peine (pendant maximum trois ans, ou cinq ans en cas de récidive). Pour plusieurs groupes militants, tenants des droits humains et représentants syndicaux, un tel projet entraînera une ingérence profonde dans les droits et libertés fondamentaux, dont le droit de manifester (inclus dans la liberté d’association), la liberté d’expression et le droit de grève. Dans le premier article, nous nous étions penchées sur l’analyse critique du but poursuivi par ce projet ainsi que sur la question de sa nécessité. Dans ce second et présent article, nous poursuivons notre examen de la peine d’interdiction de manifester en en évaluant la proportionnalité (et l’utilité).
Analyse n°478 de Emma Raucent - octobre 2023
Le Code pénal belge se verra-t-il bientôt assortir d’une nouvelle peine, celle de l’interdiction de manifester ? C’est en tout cas l’objectif poursuivi par le ministre de la justice, Vincent Van Quickenborne (Open Vld), qui entend « punir les fauteurs de troubles, les personnes de mauvaise foi et mal intentionnées » pour des infractions commises à l’occasion d’une manifestation. En cause, ces fameux « casseurs » qui utiliseraient les manifestations « comme prétexte pour commettre des dégradations ». Le présent article de cette série s’intéresse non seulement au contexte social et aux motivations politiques qui ont mené le ministère de la justice à l’insertion d’une telle peine, mais aussi à la répression politique auxquelles de telles motivations ouvrent potentiellement la porte. Cet article prend comme point de départ deux conditions fondamentales sous lesquelles la liberté d’association peut être limitée en droit : la poursuite d’un but légitime et le caractère nécessaire d’une telle limitation pour atteindre ce but. Notre intention est donc d’ouvrir une discussion au sujet des questions suivantes : cette peine est-elle libellée de façon suffisamment précise pour que son but (lutter contre la « violence brute ») ne soit pas dévoyé ? L’objectif véritable de cette peine est-il d’incriminer un acte ou d’anticiper une intention ? En quoi l’arsenal de peine existant est-il insuffisant pour répondre aux actes de violences visés par le gouvernement ? Les constats d’une augmentation de la violence durant les manifestations ainsi que la meilleure manière d’y répondre ont-ils fait l’objet d’un débat démocratique impliquant l’ensemble des acteurs académiques et associatifs informés ? De quoi « l’urgence » proclamée d’un tel projet témoigne-t-elle ?
Analyse n°477 de Citoyenneté & Participation - septembre 2023
Prendre de la hauteur par rapport aux initiatives de transition mises en place dans le cadre du Mouvement de la Transition initié par Rob Hopkins en 2015 nous paraît indispensable dans le cadre d’une transition écologique et solidaire. Nous nous intéresserons à la dimension politique de la transition et à l’articulation nécessaire entre les niveaux d’action citoyens et institutionnels. Nous ferons d’abord un état des lieux des tentatives politiques ayant pour but de concilier les questions sociales et environnementales via le concept de "transition juste". Celui-ci part du principe qu’il ne devrait pas revenir aux plus précaires d’assumer de manière disproportionnée les coûts socioéconomiques de la transition vers une société plus sobre en carbone. Nous poserons également un regard critique sur les initiatives de transition. Nous nous intéresserons aux potentiels de celles-ci qui résident principalement dans le nouveau récit positif qu’elles véhiculent pour les individus. Nous serons par contre particulièrement attentifs à leurs limites et à leur nécessaire corrélation avec la création d’un cadre politique permettant une réelle transition vers une société plus sobre en carbone. Réfléchir à la fois à la dimension citoyenne et politique ainsi qu’à la façon dont celles-ci peuvent s’articuler en vue de mettre en place une transition socialement juste permet d’élargir les perspectives et de ne plus penser la transition comme un concept flou, mais comme une réelle piste de solution pour l’avenir.
Analyse n°476 de Karin Dubois - septembre 2023
Vous vous interrogez sur la mise sur pied d’un projet dans votre quartier avec l’aide de quelques voisins. Une initiative qui serait à la fois écologique et solidaire. Vous êtes au stade de la réflexion et vous vous demandez quel projet serait le plus porteur, ce que cela implique de se lancer dans une nouvelle aventure humaine, par quel bout commencer, quels moyens mobiliser, où aller chercher des conseils. Pour savoir quel type de projets organiser nous avons interrogé de nombreuses personnes vivant une forme de précarité. Pour le reste, on a préféré interviewer quelques porteurs de projets en Belgique, en France et en Suisse pour que vous puissiez profiter de leurs expériences. Tatjana, Robert et Xavier vous parleront de leurs bibliothèques d’objets, Sofie des vélos mis à la disposition des enfants, Aurélie d’une épicerie sociale gérée par des étudiants fauchés, Mohammed et Youssef d’un potager collectif qui se développe chaque année. Enfin, c’est Amélie qui vous contera la belle histoire des Cuisines de quartier.
Étude n°43 de Citoyenneté & Participation - septembre 2023
Vous envisagez de créer un projet citoyen qui a du sens, qui s’inscrit dans la transition écologique mais qui envisage aussi une dimension solidaire pour que chacun y trouve sa place, notamment les personnes en situation précaire. Car finalement l’environnement et le climat, ça nous concerne tous. Mais comment s’y prendre ? La tâche est ambitieuse et ardue. C’est pourquoi ce guide vous propose toute une série de conseils ; sur les projets à organiser, les canaux de communication à privilégier, les manières de co-construire des projets ou de parler d’environnement, sur les diverses pistes à explorer pour lever les obstacles qui empêchent les plus fragiles d’entre nous d’accéder aux projets citoyens et enfin sur le financement de ces projets. Tous ces conseils sont le fruit de recherches qui ont été menées après avoir interrogé des transitionneurs et des personnes vivant une forme de précarité sur leurs expériences, motivations et besoins. Nous espérons grâce à ce guide pourvoir vous faire avancer dans vos réflexions et vos recherches.
Analyse n°475 de Karin Dubois - septembre 2023
Pourquoi les citoyens engagés dans une initiative de transition écologique et les personnes vivant une forme de précarité ne se rentre-t-elles que trop peu ? Doit-on voir la construction d’un monde plus résilient sans y faire participer les plus fragilisés qui sont les premiers impactés par les diverses crises ? La situation est-elle désespérée ou des pistes de solutions sont-elles à notre portée ? Pour le savoir Citoyenneté & Participation a mené des enquêtes auprès de ces deux publics pour identifier leurs freins, leurs besoins, leurs motivations et même leur envie de co-construire un projet écologique mais aussi solidaire. Ce sont ces résultats que vous pourrez découvrir dans ce premier volet d’une série de publications intitulées "Vers une transition écologique et sociale".
Étude n°42 de Emma Raucent - juillet 2023
La société moderne occidentale est centrée autour du travail employé, tant sur le plan matériel que sur le plan culturel. D’une part, elle pose le salaire comme moyen essentiel de subsistance par la consommation de masse. D’autre part, la relation salariée a acquis une valeur structurante de nos rapports sociaux et de notre identité individuelle, si bien qu’elle passe pour un ordre établi alors qu’elle n’est en réalité qu’une construction historique récente. Le travail tel qu’on le comprend aujourd’hui est une catégorie née sous le capitalisme industriel et est concomitante à l’émergence de l’économie comme discipline scientifique. Or, ces dernières années, un consensus scientifique se précise autour de l’insoutenabilité environnementale d’un tel modèle.Mais alors, quel rôle aurait le travail au sein d'une économie décroissante ? Il apparaît de plus en plus clairement qu’une diminution de la pression exercée par l’économie marchande sur l’environnement doit nécessairement passer par une réduction de l’envergure de cette économie. Et donc par la réduction (voire la suppression) de certaines franges de la production, à commencer par celles qui sont les plus polluantes et qui ne sont pas jugées indispensables à la reproduction de la société. Traduite en termes de récession au sein d’une économie fondée sur la croissance, cette réduction prend pourtant tout son sens si elle s’inscrit dans le cadre plus large d’une politique structurelle faisant sortir l’économie du paradigme croissanciel. Partant des constats posés par les chercheurs et chercheuses d'économie décroissante, la présente analyse examine les enjeux que de tels changements engendreraient vis-à-vis du travail et spécialement du travail employé. Comment redéfinir le travail et le rôle qu’il joue au sein d’une économie décroissante ? Quel avenir pour les rapports salariés et les institutions propres à ces rapports (comme le marché de l’emploi et le chômage) dans une économie dont on organise la décroissance ? Est-il possible de déconstruire les liens quasi-consubstantiels qui lient aujourd’hui l’emploi et la croissance ? Comment déconstruire l’impératif de "l’emploi à tout prix" qui justifie la promotion d’activités économiques désastreuses pour l’environnement et faire se rejoindre les luttes sociales et environnementales ? Dans quelle mesure une réduction collective du temps de travail peut-elle contribuer à garantir non seulement une justice sociale par l’emploi mais aussi une émancipation sociétale de l’emploi ?
Analyse n°474 de Boris Fronteddu - juillet 2023
La matérialité de la “double transition ” Jusqu’où vont-ils descendre ? Analyse n°474 de Boris FrontedduJuillet 2023 Introduction Cette analyse se concentre sur l’amont de l’impact matériel de la digitalisation et de la transition énergétique, à savoir, l’extraction des matières premières nécessaires à la production des terminaux et infrastructures. Cette étape inéluctable pour l’existence même du secteur numérique connaît un regain d’intérêt de la part des décideurs politiques et, notamment, de la part de la Commission européenne. Et pour cause, le Pacte vert pour l’Europe — la stratégie à long terme de l’Union européenne qui vise la neutralité carbone à l’horizon 2050 — devrait s’appuyer sur une « double transition » ; énergétique et numérique. Dans ce cadre, la Commission européenne a publié le 16 mars 2023, le Critical Raw Material Act (composé d’une proposition de règlement et d’une communication). Celui-ci appelle à relancer l’industrie minière au sein de l’Union européenne ainsi qu’à mettre la main sur de nouvelles sources d’approvisionnement en matières premières critiques. Cette proposition législative répond à un constat : la demande en métaux dans le cadre de la double transition est appelée à exploser et l’Europe ne produit qu’une part infime des métaux nécessaires à la double transition. En outre, l’offre de certains métaux critiques pour la transition énergétique et la digitalisation pourrait ne pas suffire pour répondre à une augmentation si conséquente et rapide de la demande. L’idée d’une « immatérialité » du numérique entretenue notamment par des concepts tels que le cloud (sorte de « nuage » où seraient stockées les données) et les plateformes de streaming, semble tenace. La croissance effrénée de l’empire numérique, l’accumulation et le stockage exponentiel de données au cours des dernières décennies tend à renforcer l’image d’un monde virtuel illimité auquel aucune restriction physique ne pourrait être opposée. Néanmoins, la matérialité du numérique a déjà fait l’objet de nombreuses recherches et publications. Et pour cause, celle-ci se décline d’innombrables façons (citons par exemple : la démultiplication des terminaux utilisateurs, le développement des infrastructure afférentes, l’accumulation des e-déchets, la consommation énergétique directe et indirecte du secteur, les émissions de gaz à effet de serre et la pollution liés à la fabrication et à l’utilisation des objets numériques…). Cette analyse s’intéresse, dans ce cadre, à la consommation de métaux par l’industrie numérique et aux conséquences environnementales de ce qui s’apparente à une fuite en avant extractiviste. Bien que peu probable dans un futur proche, un retour de l’activité minière en Belgique n’apparaît plus, aujourd’hui, relever de la science-fiction. Dans le même temps, à plus de 10.000 kilomètres de ses frontières, la Belgique se penche sur une potentielle exploitation minière en eaux profondes. Si certains promoteurs de l’industrie minière affirment qu’il s’agit d’une solution pour s’approvisionner en métaux nécessaires à la double transition, il s’agirait d’un dépassement de frontière inédite dans l’exploitation des ressources naturelles. Nous nous pencherons dès lors sur les polémiques qui entourent l’exploitation minière en eaux profondes et sur les nombreuses questions qui pèsent autour de l’impact environnemental et climatique d’une telle entreprise. Jusqu’ou sera-t-on prêt à descendre au nom de la « double transition » ? I. Avons-nous les moyens de nos ambitions ? A. Numérisation des objets du quotidien Malgré le développement d’appareils « multi-usages » (tels que les smartphones qui assurent les fonctions de téléphone, ordinateur portable, agenda…), les foyers comptent de plus en plus d’appareils numériques ; du thermostat « intelligent » à l’aspirateur connecté. Globalement, le nombre d’objets connectés devrait dépasser 45 milliards d’ici 2030. À cette numérisation des objets du quotidien s’ajoute la problématique de l’obsolescence programmée au sens technique du terme et/ou au sens culturel, signifiant que certains appareils deviennent rapidement « passés de mode ». Et cela est d’autant plus vrai que certains appareils numériques tirent leur utilité des réseaux qu’ils maintiennent entre eux. En d’autres termes, quel est l’intérêt de conserver un « bipeur » si personne, dans votre entourage, n’en possède un ? Évolution du stock d’appareils connectés dans le monde (2019) Bien que certains appareils numériques soient bien plus efficaces énergétiquement que leurs prédécesseurs, leurs processus de fabrication se complexifient, ce qui tend in fine à rendre leurs cycles de vie plus énergivores. Cela s’accompagne, nous l’avons vu, d’une démultiplication des terminaux digitaux et, donc, des infrastructures afférentes. En outre, cette démultiplication des terminaux digitaux se traduit par un accroissement du trafic des données. Ainsi, les vidéos en ligne représentent 60% du trafic global de données. Et pour cause, le visionnage de vidéos en ligne émet annuellement 300 millions de tonnes de CO2. Selon ces estimations, la seule consommation de vidéos pornos en ligne émet autant de CO2 qu’un pays comme la Belgique. À cette extension toujours plus importante de l’empire digital, viennent se greffer de nouveaux instruments tels que les cryptomonnaies, sans aucune valeur d’usage, particulièrement énergivores et consommateurs de matières premières. À titre d’exemple, le minage du bitcoin consommerait autant d’électricité que l’Argentine. Globalement, le think tank Shift Project estime que les technologies digitales sont à l’origine de 4% des émissions mondiales de gaz à effet de serre et que cette part pourrait atteindre 8% dès 2025 (ce chiffre prend en compte leur fabrication, leur utilisation et leur durée de vie). En parallèle, la façon dont les appareils numériques et les principaux services en ligne (tels que Youtube, Gmail, les réseaux sociaux, …) sont pensés, a également un impact considérable sur l’empreinte environnementale du secteur. La conception de ces services entre dans le cadre d’un « paradigme cornucopien » dans le sens où ceux-ci induisent une consommation toujours plus importante de matières premières et d’énergie. Un article paru en 2016 dans la revue Sustainability, Design and Environmental Sensibilities pointait à ce titre que les appareils et services numériques étaient conçus pour être : Personnalisés : les appareils qui étaient auparavant partagés au sein d’une famille tel que la télévision et le téléphone fixe sont désormais démultipliés par le nombre de personnes composant le foyer avec l’émergence des smartphones, tablettes, montres connectées… Variés : les usagers [lire la suite]
Analyse n°473 de Boris Fronteddu - juillet 2023
Donner ses données personnelles? Une injonction permanente à la consommation Analyse n°473 de Boris FrontedduJuillet 2023 Introduction Vous lisez probablement ces lignes depuis notre site web par le biais de votre ordinateur avec, peut-être, votre smartphone en poche et votre montre connectée autour du poignet. Et rien qu’avec cela, vous en dites déjà beaucoup plus que vous ne le pensez aux géants de la tech. Afin de pouvoir accéder à ce contenu, il vous a probablement été demandé d’accepter des « cookies ». Derrière ce nom évoquant un délicieux biscuit aux pépites de chocolat, se cache en réalité un tracker permettant aux pages web de mémoriser les traces que vous laisserez derrière vous suite à votre visite. Collectées en permanence, vos données personnelles sont ensuite compilées, traitées et croisées afin d’affiner sans cesse votre profil psychologique de consommateur. C’est cela qui en fait un bien valorisable. Et pour cause, 230 « likes » sur le réseau social Facebook suffisent à un algorithme pour « vous connaître mieux que votre propre conjoint ». Il convient désormais de rapporter cette information au nombre de traces que nous laissons quotidiennement sur le web pour se faire une idée de la quantité de données personnelles que nous fournissons aux géants du numérique. Chaque jour, nous générons, globalement, 500 millions de tweets, 294 milliards d'e-mails, 4 millions de gigaoctets de données Facebook, 65 milliards de messages WhatsApp et ajoutons 720.000 heures de nouveaux contenus sur YouTube. Tout cela constitue donc une quantité astronomique de « données », soit d’informations sur notre vie personnelle, nos interactions sociales, nos centres d’intérêts, nos opinions politiques, … Celles-ci représentent une manne considérable de revenus pour les entreprises numériques et particulièrement pour les géants de la Silicon Valley, les GAFAM (Google, Amazon, Facebook et Microsoft). Or, ce business model, sur lequel repose ces géants de la tech, a un coût. Écologique, puisque le stockage, toujours plus important, de ces données requiert sans cesse de nouvelles infrastructures très gourmandes en énergie, en eau et en espace. Démocratique, puisque la valorisation des données personnelles constitue une marchandisation de notre vie privée, de nos interactions sociales et, plus fondamentalement, de la vie humaine en elle-même. Politique, enfin, puisque ces données instaurent un contrôle permanent des citoyens, que celui-ci soit exercé par des entreprises privées, par les autorités publiques ou par les citoyens eux-mêmes. La première partie de cette analyse vise à définir ce qu’est la collecte, le stockage et le traitement des données personnelles. Elle permet de mettre en perspective les quantités de données collectées et la façon dont celles-ci se traduisent, matériellement. La deuxième partie, quant à elle, dresse un état des lieux du développement des data centers en Belgique et pose la question de la viabilité à long terme d’un tel modèle économique au regard de son impact environnemental. Dans le troisième chapitre, nous nous intéresserons aux limites auxquelles se sont heurtés d’autres pays européens face au développement inexorable des infrastructures de stockage et de traitement des données. La quatrième partie de cette analyse entend apporter une lecture plus politique à l’avènement de l’« économie des données » et à ce que celle-ci induit en termes de paradigme social et de déficit démocratique. Nous nous intéresserons, ensuite, aux raisons pour lesquelles ces données sont collectées et nous nous pencherons brièvement sur les relations incestueuses entre les géants de la tech, les services de renseignement et l’armée. Enfin, le dernier chapitre dressera un aperçu non exhaustif des outils législatifs existants pour encadrer les activités des GAFAM au sein de l’UE. Nous passerons en revue leur intérêt mais également leurs limites. La conclusion, pour sa part, apporte quelques éléments prospectifs dans le cadre d’une réflexion politique plus profonde. I. Mise en perspective Un article publié en 2018 sur le site web du Forum économique mondial affirmait que, contrairement au pétrole, pour qui la valeur dépend de sa rareté et de la difficulté grandissante pour l’extraire, il devenait « de plus en plus facile de produire des quantités massives de données ». Or, cette appréciation des « données » en tant que « ressource » facile à produire et inépuisable tend à ignorer la matérialité de laquelle dépend leur génération et leur stockage. En effet, ceux-ci ne sont rendus possibles que par des milliers de kilomètres de câbles aériens, souterrains, sous-marins, des millions de serveurs, de relais et une quantité toujours plus importante d’énergie. Et, aux infrastructures assurant le traitement, le stockage et le trafic des données, s’ajoutent les milliards de terminaux digitaux (ordinateurs, smartphones, objets connectés…). Comme l’illustre le graphique ci-dessous, en 2024, Amazon, Google, Meta (Facebook, Instagram et Whatsapp) et Microsoft posséderont, à eux seuls, plus de 200.000 kilomètres de câbles sous-marins. Parmi ceux-ci se trouve, notamment, le projet de Meta qui vise à développer un câble sous-marin contournant l’ensemble du continent africain afin de relier les États du Golfe, l’Inde et le Pakistan connectant ainsi 3 milliards de personnes. Ces infrastructures offrent aux GAFAM un contrôle considérable sur l’ensemble du flux de données qui transitent par ces câbles. Source : BroadBandNow, via TeleGeography. Concrètement, le stockage de données — peu importe la technologie utilisée — repose sur un découpage de l’information sous forme de codes binaires constitués de 0 et de 1. Un « octet » désigne la plus petite unité de mesure commune pour quantifier l’information numérique et se compose d’une suite de huit chiffres (0 et 1), soit de huit « bits ». Dans ce cadre, la miniaturisation des appareils numériques signifie qu’ils deviennent de plus en plus complexes à concevoir puisqu’ils doivent permettre le stockage d’un nombre croissant d’informations par des pièces de plus en plus petites. Dans ce cadre, les services en ligne pourraient être comparés à de gigantesques aspirateurs collectant en permanence les données des utilisateurs. La plupart des services en ligne, des réseaux sociaux à l’utilisation de moteurs de recherche en passant par l’utilisation d’une boîte mail, permettent à des sociétés privées de collecter les données de l’utilisateur. À cela s’ajoute la quantité toujours [lire la suite]
Étude n°41 de Clara Van Der Steen - juin 2023
Si le français contribue à l’élaboration du patrimoine social et culturel des États qui le pratiquent, plusieurs problématiques se dégagent en raison de son utilisation pouvant entraîner, selon les contextes, des situations déséquilibrées entre les groupes sociaux. Dans le contexte social actuel mondial, les discriminations prennent des formes diverses et ont également lieu sur les plans discursif et linguistique. En effet, le fait de parler ou non une langue sur un territoire en particulier, la manière dont cette langue est utilisée ainsi que sa structure même peuvent constituer des facteurs discriminants pour les personnes qui ne maîtrisent pas ces codes linguistiques. À partir d’une démarche réflexive sur les conséquences de la culture dominante et de ses effets directs dans la société, la valeur que nous octroyons à la langue française a-t-elle toujours un sens ? Cette question nous amène à réfléchir de manière plus approfondie aux conséquences de l’utilisation du langage sur les individus composant cette société. Cette étude a pour but de comprendre l’origine de ces inégalités linguistiques ainsi que les formes sous lesquelles elles s’exercent. La première partie répond à la problématique suivante : de quelle manière la langue française, si on l’envisage à travers une dimension historique, est-elle devenue outil de soumission des classes dominées ? Pour répondre à la question, nous nous appuyons sur deux cas spécifiques : la construction sexiste de la langue française et l’imposition du français dans les colonies sur le continent africain. À travers ces deux situations-exemples, nous développons nos arguments selon lesquels la langue française peut non seulement être le lieu de domination par la transmission d’une idéologie favorable au pouvoir déjà en place mais également devenir un réel outil politique.
Revue n°1 de Citoyenneté & Participation - juin 2023
Stigmatisation, harcèlement, impunité, absence de remise en question, déshumanisation… Autant de mots qui expriment la violence du vécu de certain·e·s au sein de nos institutions. Ces mots, issus de groupes de discussion, sont forts et expriment un ressenti qui l’est tout autant. Ils expriment surtout un des maux de notre société : le/les systèmes dans le/lesquels nous vivons peuvent être violents ; nos institutions 1, en qui nous devrions avoir pleinement confiance, sont des lieux où se jouent des violences systémiques – autrement dit des violences institutionnelles.2 Ces expériences de violences, nos collaborateurs et collaboratrices, issu·e·s de métiers différents, par leurs vécus et leurs expériences au sein des groupes qu’ils accompagnent, les entendent régulièrement. Il nous a dès lors semblé essentiel de se saisir de cette problématique. Mais comment ? En déclinant notre travail en trois temps : Le temps de la recherche et de la compréhension d’abord : chacun.e des chargé.e.s de recherche s’est saisi d’une institution et l’a étudié – à la lumière de son expertise. Le fruit de cette recherche s’est traduit en plusieurs analyses chacune attachée à un secteur particulier : l’école, le travail ou la santé. Dans un deuxième temps, il nous a paru nécessaire de synthétiser, vulgariser et ouvrir ce travail approfondi à d’autres… C’est ainsi que cette revue est née. Elle présente la synthèse de nos recherches et est ponctuée de témoignages et interviews d’acteurs et d’actrices « de terrain ». Toute publication amène à poser des choix… Pour n’en citer que deux parmi d’autres : Quels secteurs étudier ? École, travail, santé… Le choix s’est fait « naturellement », en fonction de nos expertises bien sûr, mais aussi et surtout en fonction des conclusions de groupes de discussion sur le sujet… Par ailleurs un secteur tout particulier a également retenu notre attention : le nôtre ! Soucieux d’approcher le secteur associatif, dont nous sommes parties prenantes, avec nuance et recul, nous avons fait le choix d’évoquer ici les violences qui lui sont propres sous forme de témoignages.3 Comment mettre en dialogue les pratiques de ces institutions (très) différentes, mais aussi les points de vue au sein de celles-ci ? Exercice éminemment difficile, que vous découvrirez au fil de ces pages, mais exercice au combien opportun, car permettant d’offrir une compréhension globale et d’apercevoir autant d’observations communes… Un temps pour sensibiliser… Les constats sont donc posés, certaines recommandations émergent… mais nous souhaitions aller plus loin et agir… C’est pourquoi, avec plusieurs partenaires associatifs, nous organiserons une journée de table ronde sur cette thématique : partir des constats posés, discuter, échanger et formuler des recommandations à porter auprès des institutions elles-mêmes, des pouvoirs publics et des politiques. Celle-ci aura lieu le 20 juin 2023 à Bruxelles.4 Pour aller plus loin et sensibiliser les acteurs qui souhaiteraient se saisir de cette thématique, nous proposerons également une formation sur le sujet. Rendez-vous est pris donc, d’ici là, bonne lecture !
Analyse n°472 de Edgar Gillet - juin 2023
Numérisation du recrutement et de l’orientation Promesses et conséquences des algorithmes Analyse n°472 d'Edgard Gillet Juin 2023 Introduction La numérisation du monde s’observe à toutes les échelles de la société. Un aspect central de la vie contemporaine offre même un point de vue privilégié sur ses conséquences : le travail. Plus précisément, les champs de l’orientation et du recrutement, en se situant à l’interface entre la vie privée et le monde de l’entreprise concentrent les enjeux liés au numérique. En effet, la mise en place en entreprise de logiciels intégrés, gérant la recherche et l’embauche de nouveaux employés, automatise aujourd’hui des processus assurés autrefois par des êtres humains, pour des êtres humains. Ces nouveaux outils permettent ce faisant, un passage à l’échelle supérieure considérable. Selon le logiciel choisi, les algorithmes trient et analysent plusieurs milliers de candidats en quelques secondes. Plus loin encore, certains algorithmes dits de recrutements prédictifs, débusquent et suggèrent les candidats les plus proches des critères des employeurs, remplaçant presque les professionnels du domaine. Dès lors, dans quelle mesure ces nouveaux outils influencent-ils les pratiques en lien avec le recrutement au sein des organisations ? Quels sont leurs apports et leurs conséquences, tant pour les professionnels du recrutement, que pour les recrutés ? Et ces apports se limitent-ils à la seule entreprise ? Portés par des discours de promotion vantant leur objectivité et gains en productivité, l’origine et le choix de ces nouveaux outils soulèvent plusieurs interrogations liées au rôle de ceux-ci dans nos vies professionnelles. C’est pourquoi nous proposerons dans cette analyse, un panorama critique des outils numériques de recrutement et de formations. Pour traiter de la question, nous reviendrons d’abord aux fondements des disciplines du recrutement et de l’orientation, la manière dont elles se sont construites historiquement ainsi que les courants marquants qui les ont façonnées. On observera ce faisant, à rebours d’une idée d’outils neutres, la transposition aujourd’hui, dans les nouveaux outils numériques, de philosophies, dont les algorithmes de recrutement sont les dépositaires. Nous observerons ensuite comment le fonctionnement de ces nouveaux outils, vient, en situation s’hybrider avec les pratiques antérieures des recruteurs sans pour autant normaliser et harmoniser celles-ci. Nous verrons aussi, comment le déploiement et la maîtrise des outils numériques croisent des stratégies de présentation de soi, propres au champ du recrutement et participant de leur légitimation, et ce alors qu’ils sont porteurs de biais techniques. Nous aborderons enfin, les implications plus générales, du déploiement d’outils numériques sur la formation initiale et continue I. Aux origines de l’orientation professionnelle matching et life design : nouveaux outils, vieux modèles A. Les modèles du matching et du life design L’orientation et le recrutement dépendent aujourd’hui de modèles plus anciens, qui se sont construits historiquement et dont on retrouve la philosophie au cœur des outils actuels. Théorisé dès le début du XXe siècle le modèle dit du « matching » (modèle par correspondance, en français) s’impose à partir des années 1960 comme approche majoritaire dans le champ de l’orientation professionnelle. Promue par les conseillers en orientation, elle impulse à cette époque la prise en compte des traits individuels (centres d’intérêts, personnalités) dans la recherche et l’assignation d’un emploi à un candidat . Elle remplace ce faisant une orientation centrée auparavant sur les secteurs en tension, l’état du marché et les compétences techniques . À ces critères, le « matching » propose de superposer des données personnelles, pour correspondre à une grille de métiers compatibles. La popularisation de cette approche entraîne progressivement les futurs employés vers un choix de carrière en fonction de leurs inclinations, loisirs et affinités. Surtout, les candidats doivent désormais s’impliquer activement dans la formulation de leurs projets. À charge pour ces derniers en effet de formuler clairement leurs intérêts et penchants personnels pour trouver le métier en rapport avec leurs aspirations. Les employés deviennent donc, à l’époque, acteurs de leur propre carrière, dans le sens où ils deviennent responsables des choix en rapport et des directions que celle-ci prend. On assiste de fait à un « basculement de la responsabilité de la gestion des cheminements professionnels vers les individus […]. La mobilité des travailleurs est renforcée et elle se bâtit sur une attitude individuelle de liberté, d’autodétermination et de choix fondés sur les valeurs personnelles » . Le début des années 2000 voit par la suite, l’émergence du concept de « life design » dans le champ de la recherche en orientation. Cette approche propose alors un modèle à destination des conseillers en orientation pour soutenir les candidats dans « la structuration de leur identité narrative » , la mise en récit de leurs besoins et aspirations en lien avec le travail. Surtout, le « life design » promeut une certaine souplesse chez les candidats pour « développer les ressources nécessaires et répondre aux incertitudes inhérentes à tout parcours professionnel au XXIe siècle. » Ce tournant dans les approches de l’orientation professionnelles marque alors une responsabilisation de l’individu dans la gestion de sa carrière. En effet, se concentrer sur les caractéristiques personnelles des travailleurs, fait porter la responsabilité de sa carrière au seul individu, en mettant de côté les difficultés d’ordre structurel, comme un licenciement ou une crise économique . Il lui revient alors à lui seul de travailler sur des causes internes, afin de concrétiser son projet professionnel. Pourtant, les individus évoluent dans un environnement social, économique et politique, difficiles à séparer de leur parcours d’orientation. On parle alors de pouvoir d’action limité (« bounded agency ») : l’individu possède « une certaine autonomie et un pouvoir décisionnel, mais celui-ci s’exerce dans un environnement aux opportunités limitées » . B. Le passage au numérique dans le recrutement, Monkey Tie et l’« optimized hiring » C’est dans ce contexte, qu’on observe, à la même époque le déploiement de nouveaux outils numériques dans le champ des ressources humaines, qui, on le verra, renforcent cette individualisation des travailleurs devant leur destin professionnel. À l’instar des conseillers en orientation des années 1960, les créateurs de ces nouveaux outils sont des professionnels du recrutement et [lire la suite]
Étude n°40 de Emma Raucent - avril 2023
La réduction collective du temps de travail (RCTT) est-elle devenue un projet politique irréaliste en Belgique ? L’accord mou du gouvernement actuel sur le droit à la semaine de quatre jours sans réduction du nombre d’heures de travail hebdomadaire semble constituer l’incarnation parfaite du blackboulage politique de la lutte sociale et syndicale pour une RCTT. Pourquoi la revendication d’une diminution collective des heures de travail sans perte de salaire est-elle devenue inaudible auprès de nos représentants, tous bords confondus (ou presque) ? Pour comprendre ce blocage, il est essentiel de cerner la place et l’évolution du temps de travail comme objet de lutte dans l’histoire récente des rapports de force politiques, sociaux et économiques en Belgique. C’est tout l’objet de la présente analyse. Dès la seconde moitié du XIXe siècle, la réduction collective du temps de travail (RCTT) constitue un élément clé de la lutte ouvrière belge.1 Pour reprendre les propos de Karl Polanyi 2, la maîtrise du temps de travail par les travailleurs peut être envisagée comme une forme de décommodification 3 du travail, les heures de travail étant déterminées en dehors du marché et transformées en un objet de délibération politique. 4 En Belgique, les prémices de cette politisation remontent à 1843 lorsqu’un rapport de la Commission d’enquête parlementaire sur "la condition des classes ouvrières et sur le travail des enfants" propose, en vain, de limiter la journée à 12h30 de travail effectif. 5 Jusqu’au début de la Seconde Guerre mondiale, la mobilisation croissante des travailleurs des bassins miniers et sidérurgiques en Belgique a ouvert la voie à l’acquisition de droits sociaux et à la construction d’un espace de négociation collective autour du temps de travail, avec notamment l’obtention du repos dominical en 1905 et de la journée de huit heures en 1921. Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, l’intégration du temps de travail (et du salaire) au sein du débat public a inévitablement exposé ces deux questions au débat idéologique qui opposait la pensée libérale capitaliste à l’extension du modèle de l’Union soviétique. C’est ainsi qu’en Belgique, le Pacte social de 1944 qui institue un modèle de négociation collective en échange de la paix sociale, tient la croissance économique pour principe fondamental, et ce dans une perspective de partage équitable des richesses entre travailleurs et employeurs. 6 En plus d’être appréhendée comme une source d’émancipation et de bien-être pour les travailleurs, la réduction collective du temps de travail (RCTT), avec l’augmentation des salaires (directs ou socialisés), apparaît donc également comme un outil essentiel de distribution des fruits de la croissance au profit des travailleurs.7
Analyse n°471 de Boris Fronteddu - mars 2023
Dans son acception générale, le blé désigne le type de céréale panifiable 1 le plus consommé au monde, c’est-à-dire le froment. Le blé constitue un élément central de l’alimentation des Belges et plus largement de l’alimentation mondiale. Il est, en effet, à la source de près d’un cinquième des calories absorbées par l’humanité.2 Le pain fournit, à ce titre, plus de nutriments à la population mondiale que toute autre source alimentaire.3 Alors, quant est-il de la production de blé en Belgique ? Et au niveau mondial ? Si le blé représente un aliment clé de l’alimentation des pays industrialisés, cela est encore plus vrai au sein du Sud global parmi lequel sa disponibilité à bas prix constitue une question de vie ou de mort pour des centaines de millions de personnes. Et pour cause, le blé est l’une des plantes les plus cultivées dans le monde avec le maïs et le soja. 80 % du blé cultivé est in fine transformé en farine.4 Nous le retrouvons dans le pain, les pâtes et les biscuits, mais également et indirectement dans la viande que nous consommons puisqu’il représente une part importante de l’alimentation du bétail. Tout d’abord, soulignons qu’une poignée d’États concentrent en leur sein l’écrasante majorité de la production de blé et parmi ceux-ci, seuls quelques-uns en exportent. En effet, seulement un cinquième des céréales produites dans le monde sont exportées. Ainsi, l’Union européenne (UE) et huit pays (les États-Unis, la Russie, l’Ukraine, l’Argentine, le Brésil, le Kazakhstan, l’Australie et le Canada) totalisaient 85 % de la quantité totale de céréales exportées pour la période 2019-2020. Si la Chine et l’Inde figurent parmi les principaux producteurs de céréales, ils n’en n’exportent que très peu, la très grande majorité de leur production étant destinée à leur consommation intérieure.5 La production de l’UE, pour sa part, s’élevait à 297,5 millions de tonnes de céréales 6 en 2021 dont plus de 43,7 % de blé tendre et d’épeautre.7 Les acteurs majeurs de la production européenne de blé sont respectivement la France, l’Allemagne et la Pologne. Par ailleurs, alors que l’UE figure déjà parmi les principaux exportateurs de blé, la Commission européenne estime que l’invasion de l’Ukraine par la Russie devrait se traduire par une augmentation de 30 % des exports européens de céréales entre 2022 et 2024.8 Avec 1,6 million de tonnes de froment produites en 2017, la production belge est loin d’être négligeable. Néanmoins, comme nous allons le voir, la Belgique produit principalement du blé à destination fourragère, c’est-à-dire de l’alimentation animale. Le pays, entouré de deux des plus grands producteurs mondiaux – la France et l’Allemagne – est, en effet, très dépendant de l’extérieur pour sa consommation de céréales panifiables. Et pour cause, en 2017, la Belgique a importé 4,5 millions de tonnes de froment et en a exporté 729 800. Une situation qui s’explique par l’évolution historique du secteur, mais également par une série des verrous socioéconomiques.9 L'analyse se structure en sept chapitres. Le premier propose un bref retour sur les grandes mutations qui ont marqué la culture du blé. Le deuxième chapitre dresse un état des lieux de la production de blé wallonne et interroge celle-ci au regard de la souveraineté alimentaire de la région. Le troisième chapitre se penche sur l’évolution de la diversité variétale du blé dans le sillage de la révolution agricole. Nous nous intéressons, dans le quatrième chapitre à quelques entreprises jouant un rôle clé dans la chaîne de valorisation du blé au niveau international et national. À la lumière de ces éléments, le chapitre cinq établit un bilan des risques qui pèsent sur l’avenir de la culture de blé en tant que pilier de la sécurité alimentaire mondiale. Les chapitres six et sept visent respectivement à récapituler les principales informations étayées dans cette analyse et à proposer une série de recommandations politiques afin de protéger et d’accroître la résilience et la diversité variétale d’un secteur dominé par quelques puissants opérateurs privés.
Analyse n°470 de Axel Winkel - février 2023
L’école est depuis longtemps présentée comme l’exemple type d’une institution créatrice de violences. Dans les grandes lignes, selon Bourdieu et Passeron, sous couvert d’égalité des chances, l’école ne ferait en réalité que reproduire les inégalités sociales. Pour ce faire, elle use de violence symbolique. "L’école impose une norme arbitraire, la culture des classes dominantes, qu’elle donne pour légitime et absolue"1. Sur cette base, elle évalue les élèves et elle transforme des inégalités sociales en différences de résultats scolaires qui sont présentées comme "naturelles" et qui "redeviennent ensuite des inégalités sociales à la sortie du système scolaire"2. Elle masque les mécanismes de cette reproduction (notamment au travers de l’idéologie méritocratique) et "persuade de cette manière ceux qu’elle exclut de la légitimité de leur exclusion"3. Elle légitime ainsi un rapport de force et l’ordre social établi. Ce constat a profondément marqué la sociologie de l’éducation. À ce niveau, le décret Missions de l’enseignement en Fédération Wallonie-Bruxelles (FWB) stipule justement que l’école doit "assurer à tous les élèves des chances égales d’émancipation sociale"4. Qu’en est-il dans les faits ? La FWB atteint-elle ses objectifs ou use-t-elle de violence symbolique ? En clair, sous couvert d’égalité des chances, la FWB ne fait-elle que reproduire les inégalités sociales ? Après avoir rapidement passé en revue l’état des inégalités et violences sous-jacentes à notre système scolaire, nous nous intéresserons à un petit nouveau dans la cour des instruments de violence symbolique : la justification des inégalités scolaires par une inégale répartition des intelligences entre classes sociales. Cette rhétorique à la pente très savonneuse fait plus que jamais resurgir l’importance de maintenir à l’horizon institutionnel le débat sur les inégalités.
Analyse n°469 de Anna Constantinidis - janvier 2023
Chaque année, l’organisation internationale Reporters sans frontières publie un Classement mondial de la liberté de la presse très médiatisé, qui compare la situation de la presse et de ses libertés dans 180 pays. Alors que la situation en Belgique y est jugée bonne depuis plusieurs années, le classement 2022 a fait reculer notre pays de plusieurs places. Au CPCP, nous utilisons souvent ce classement dans nos ateliers en éducation permanente ainsi que dans nos formations à la citoyenneté, car il constitue une base efficace pour la discussion, surtout dans les groupes multiculturels. Il nous semblait donc intéressant de nous pencher sur ce qui a été qualifié de "dégringolade" 1, afin de comprendre d’où vient ce changement et s’il est de nature à inquiéter. Comme on le verra, celui-ci est dû tant à des éléments touchant à la situation actuelle de la presse qu’à une modification de la méthodologie du classement. Après avoir rappelé quelques informations sur l’organisation Reporters sans frontières, l’analyse se penchera sur le classement en tant que tel : au-delà de l’aspect quantitatif qui frappe souvent les esprits, on s’interrogera sur sa méthodologie. Il sera ensuite question des raisons expliquant le passage de la Belgique de la onzième place en 2021 à la vingt-troisième place cette année : outre le changement de méthodologie, le classement met en lumière plusieurs éléments d’explication, que nous reprendrons synthétiquement au chapitre deux, consacré à la nouvelle position de la Belgique. Parmi ces éléments, deux aspects, qui nous paraissent fondamentaux lorsqu’il est question de liberté de la presse, seront ensuite développés de manière plus approfondie aux chapitres trois et quatre : d’une part, la problématique épineuse de la sécurité, physique et digitale, des journalistes, et d’autre part, le contexte économique et la concentration élevée des médias dans des marchés – flamand et wallon – de petite taille. Cette analyse a été enrichie grâce à des entretiens et échanges écrits avec différents acteurs du secteur : Reporters sans frontières, l’Association des Journalistes professionnels ainsi que deux professeurs universitaires en journalisme et communication : Benoît Grevisse, professeur ordinaire à l’École de communication de l’UCLouvain et responsable de l’École de journalisme de Louvain, et Geoffrey Geuens, professeur au département Médias, Culture et Communication de l’Université de Liège. Nous tenons à remercier chaleureusement tous nos interlocuteurs du temps précieux qu’ils nous ont octroyé pour répondre à nos questions.
Cahier du CPCP n°4 de Citoyenneté & Participation - décembre 2022
Une femme qui accouche et que l’on soumet à une épisiotomie inutile et non consentie, une personne âgée à qui l’on administre une dose excessive de neuroleptiques au sein d’une maison de repos, un élève issu d’un milieu populaire et immigré relégué automatiquement dans la filière qualifiante de l’enseignement, une enfant dont les codes culturels et les capacités langagières l’empêchent de répondre aux exigences d’autogestion et de proactivité introduites par son institutrice, une jeune femme dépendante économiquement de ses activités de sugar dating et obligée à des conditions de travail précaires, un livreur Deliveroo sans papiers dont le compte est supprimé par la plateforme sans justificatif. Différents profils, différents espaces, violences isolées et étrangères l’une de l’autre ? Les rouages et discours propres à chaque institution sont générateurs de pratiques violentes dont la singularité semble réduire à néant les chances d’un regard « dézoomé » et transversal sur l’ensemble de ces pratiques. La complexité du fonctionnement (ou dysfonctionnement ?) de notre société nous apparaît tel un brouillard qui nous oblige à une analyse soit toujours plus ciblée et particulière de chaque phénomène ou espace social, soit toujours plus abstraite et détachée de la réalité concrète des expériences et interactions humaines initialement visées. Le présent cahier constitue une humble tentative de déjouer ces deux écueils en faisant se dialoguer différentes formes de brutalité propres à notre société contemporaine à travers le concept de violence institutionnelle. Il s’attache à la description des violences perpétrées au sein d’institutions appartenant à trois sphères sociales distinctes : la santé, l’école et le travail en entreprise. Si ce cahier offre une description critique des logiques auxquelles répondent ces espaces et les violences spécifiques qu’ils peuvent générer, il ouvre aussi un champ de réflexion autour des potentiels points de convergence structurels entre ces différentes pratiques et leur évolution récente.
Analyse n°468 de Axel Winkel - décembre 2022
En mai 2022, nous avons publié une étude sur la problématique des "thérapies de conversion" en Belgique.1 Suite à cette étude, nous avons été mis en contact avec d’autres personnes victimes de ce type de pratiques. Nous avons décidé de publier ces témoignages afin de nourrir le débat en vue d’une prochaine interdiction des "thérapies de conversion" en Belgique. En effet, le 28 octobre 2022, un texte visant à interdire ces pratiques a été adopté au Conseil des ministres.2 C’est une première étape que nous saluons. Pour rappel, dans notre étude précédente nous avions tenté d’établir le cadre théorique et historique de ces pratiques. Nous avions aussi étudié et établi des groupes proposant des théories "pro conversion" en Belgique. Par la suite, cinq témoignages de victimes de ce type de pratiques en Belgique avaient été exposés. Ces témoignages confirmaient certaines craintes vis-à-vis de groupes identifiés, illustraient la diversité du phénomène ainsi que son actualité sur le territoire belge. Nous ne reviendrons par sur l’ensemble de ces points dans cette analyse. Nous vous renvoyons donc à notre étude précédente si vous désirez approfondir l’examen de cette question. Dans les pages qui suivent vous découvrirez deux nouveaux témoignages. Ils révèlent des faits s’étalant de 2009 à 2022. Avec nos cinq précédents témoignages, ils appuient encore un peu plus la réalité et l’actualité de ce phénomène en Belgique. Nous analyserons rapidement chacun de ces témoignages afin de les mettre en perspective avec notre étude précédente.
Analyse n°467 de Maïa Kaïss - novembre 2022
L’école est multiple, comme toutes les institutions nommées sous un même vocable ; elle n’existe pas sans la diversité qui la compose, la pédagogie, peu importe celle dont on parle, l’est aussi. Il y a des écoles et des pédagogies, des manières de faire, des instituteurs, des institutrices et des élèves. N’oublions pas que nommer c’est prendre le risque de se penser exhaustif. Pensons la nuance, accompagnons-nous d’elle dans la lecture de ce texte. Qu’elle se considère ou non comme devant être bienveillante, l’institution scolaire, comme bon nombre d’institutions, n’échappe pas à certaines faiblesses. Elle génère, par essence, des comportements, parfois violents, qui, créés ou non par elle, peuvent la dépasser. Dans sa structure, son fonctionnement, son organisation, les mécanismes qu’elle induit etc. À titre d’exemple : l’école (induit ?) autorise, malgré elle sans doute, des attitudes discriminantes, stigmatisantes, insécurisantes, des actes de harcèlement ou encore d’exclusion 1. Des violences donc. Qu’il s’agisse d’attitudes d’élèves envers d’autres élèves, de professeurs envers leurs élèves, l’inverse ou encore du haut de la hiérarchie sur le bas de la pyramide, ce qui est à intéressant est de saisir ces violences dans leur part "institutionnalisée". En effet, elles ont lieu dans le cadre scolaire et surtout c’est le fonctionnement même de l’école qui leur laisse de la place, voire les crée. D’ailleurs est-ce l’école qui autorise ces conduites, ou est-ce qu’elle les induit ? Existent-elles parce qu’elles sont invisibilisées, peu ou pas prises en compte, voire négligées ? Aussi, sont-elles généralisables à l’ensemble des institutions scolaires et des modèles pédagogiques ? Autant de questions que dans une société fortement scolarisée nous avons le droit de nous poser. Cette brève analyse n’aura pas pour objectif de poser un constat définitif, ni exhaustif, ni même de répondre de façon arbitraire à ces quelques questions mais bien de lancer des pistes de sur ce en quoi l’école (dans certaines de ses méthodes pédagogiques) peut être considérée comme violente, et, dans un second temps et de façon plus spécifique de réfléchir à l’impact plus ou moins grand de certains des outils issus de la pédagogie Freinet sur ces dites violences. Dans ce cadre nous nous intéresserons plus particulièrement aux violences symboliques. Celles que l’on ne considère, a priori, pas toujours comme des violences d’ailleurs. Celles qui, peu perceptibles, voire invisibles sont parfois niées, ou simplement pas nommées. Ni par l’agresseur, ni par l’agressé qui, par cette attitude, ne reconnaîtra d’ailleurs pas son statut de victime. Citons à titre d’exemple : la place assignée, le devoir auquel on n’échappe pas et les incidences de et dans la sphère privée 2, l’annonce à haute voix des résultats du dernier contrôle, ou encore la discontinuité entre les règles d’un professeur à l’autre. Les mots ici peuvent sembler forts, excessifs et c’est bien là la force de ce type de violences. Inès 0/20, Nestor 3/20, mais quelle classe ! Qu’ai-je fait pour mériter ça ? Il est évident que l’enfant ne rentrera pas abîmé par une balafre au visage, ou une série de noms d’oiseaux lui résonnant dans la tête jusqu’au retour à la maison. Non. Mais il s’agit bien d’un type de violence qui agit sur sa façon d’être, qui appuie sur ce qui, dans son for intérieur, au plus profond de lui, fait sens ou non, le bouscule plus ou moins fort. Enfin, et en guise de conclusion nous tenterons de proposer quelques éléments, certes triviaux, auxquels il est nécessaire de rester attentifs pour ne pas alimenter le "monstre" : la machine institutionnelle et ses dérives. La violence est au fondement même des relations humaines quand celles-ci ne sont pas assorties d’un regard réflexif, analytique et d’ordre plus méta. Nous considérons donc qu’il est indispensable, pour le professeur et son élève, de ne pas fermer les yeux quand cette machine institutionnelle nous fait face et de s’outiller pour ne pas oublier qu’elle existe.